OBSERVARE
Universidade Autónoma de Lisboa
e-ISSN: 1647-7251
Vol. 12, Nº. 1 (Mai-Octobre 2021)
218
LES PRATIQUES DE L'ÉTAT D'URGENCE ET LES DROITS DE L'HOMME:
LE CAS D'EXPULSIONS MASSIVES DES FONCTIONNAIRES PUBLIQUES
EN TURQUIE
ÖMER BEDIR
omerbedir@yahoo.com
Il est titulaire d'un diplôme de maitrise en Administration Publique de l'Université de Marmara,
Istanbul. Il a obtenu un Diplôme d'Etudes Approfondies (Master) en UE et Science Politique de
l'IEP de Strasbourg. Il a été admis à l'E.N.A. (Ecole Nationale d'Administration) où il a suivi le
programme de "Cycle International Longue". Il a fait son doctorat en Histoire Moderne de Turquie
à l'Université de Hacettepe, Ankara. Il a travaillé entre 2005 et 2016 en tant que diplomate de
carrière au Ministère des Affaires Etrangères de Turquie. Il a servi dans plusieurs missions
diplomatiques à l'étranger. Il est actuellement un chercheur indépendant spécialisé dans les
relations internationales et les questions des droits de l'homme (Turquie).
Résumé
La déclaration d'état d'urgence est un moyen juridique utilisé par les États pour surmonter
des situations extraordinaires. Dans le cadre d'état d'urgence, d'un part, les compétences des
gouvernements sont accrues et, d'autre part, les droits et libertés des individus sont limités
ou bien suspendus temporairement. L'objectif principal de l'état d'urgence est de fournir, pour
mettre fin aux situations extraordinaires dans les plus brefs délais possibles, les moyens
nécessaires au gouvernement et à la bureaucratie. Les gouvernements devraient utiliser les
compétences extraordinaires d'une manière juste et équitable. Les compétences reconnues
par l'état d'urgence ne devraient pas être utilisées à des fins politiques tel qu'intimider les
opposants. me si certains droits et libertés peuvent être limités ou bien suspendus, les
droits fondamentaux ne peuvent pas être violés sous prétexte de l'état d'urgence. En plus,
les pratiques d'état d'urgence devraient se limiter aux faits et aux cas qui l'ont engendré. Cet
article étudie l'équilibre entre l'état d'urgence et le respect des droits de l'homme dans le cas
particulier de la Turquie qui a déclaré l'état d'urgence juste après la tentative de coup d'État
avorté de juillet 2016. À cet égard, une attention particulière sera consacrée aux licenciements
massifs des fonctionnaires publiques par des crets-lois extraordinaires pendant l'état
d'urgence et à la conformité de ces licenciements avec la Convention Européenne des Droits
de l'Homme.
Mots-clés
Droits de l'homme, état d'urgence, Turquie, Cour Européenne des Droits de l'Homme,
Expulsion des fonctionnaires publiques
Comment citer cet article
Bedir, Ömer (2021). Les pratiques de l'état d'urgence et les droits de l'Homme: Le cas
d'expulsions massives des fonctionnaires publiques en Turquie. Janus.net, e-journal of
international relations. Vol12, Nº. 1, Mai-Octobre 2021. Consulté [en ligne] à la date de la
dernière consultation, https://doi.org/10.26619/1647-7251.12.1.12
Article reçu le 22 Décembre 2020 et accepté pour publication le 10 Mars 2021
JANUS.NET, e-journal of International Relations
e-ISSN: 1647-7251
Vol. 12, Nº. 1 (Mai-Octobre 2021), pp. 218-246
Les pratiques de l’état d’urgence et les droits de l’Homme: le cas d’expulsions massives des
fonctionnaires publiques en Turquie
Ömer Bedir
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LES PRATIQUES DE L'ÉTAT D'URGENCE ET LES DROITS DE
L'HOMME: LE CAS D'EXPULSIONS MASSIVES DES
FONCTIONNAIRES PUBLIQUES EN TURQUIE
ÖMER BEDIR
Introduction
L'état d'urgence a été déclaré en Turquie après la tentative de coup d'état du 15 juillet
2016 et a duré pendant deux années sans interruption, jusqu'à 19 juillet 2018. L'objectif
de l'état d'urgence, donc de la limitation de l'utilisation de certains droits pour une période
déterminée, est de faciliter et d'accélérer le processus de retour au normal. Mais s'il n'est
pas employé d'une façon juste, l'état d'urgence risque de servir comme un moyen pour
suspendre les libertés et les droits, donc d'empêcher le retour au "normal".
Cet article a pour objectif d'étudier l'équilibre entre les pratiques de l'état d'urgence et le
respect des droits de l'homme dans le cas particulier d'expulsions massives des
fonctionnaires publiques en Turquie. Dans la première partie de cet article, la tentative
de coup d'état et le processus de la déclaration d'état d'urgence seront expliqués. Dans
la deuxième partie, la cision de la Cour Constitutionnelle turque relative aux décrets-
lois extraordinaires (DLE) issus dans la période d'état d'urgence et les conséquences de
cette décision seront traitées. Dans la troisième partie, les expulsions massives des
fonctionnaires publiques par les DLE sous le régime d'état d'urgence et la compatibilité
de ces pratiques avec la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) seront
discutées. Dans la quatrième partie, les positions des acteurs internes et externes face
aux pratiques de l'état d'urgence et aux expulsions massives des fonctionnaires seront
examinées. Dernièrement, d'un part les conséquences des pratiques de ltat d'urgence
sur les droits de l'homme et la démocratie, et d'autre part les effets de cette riode
d'état d'urgence au niveau individuel, social et systémique seront analysés.
1. La tentative de coup d'État et la déclaration de l'état d'urgence
Dans les temps et des circonstances extraordinaires, des règles juridiques "ordinaires"
peuvent rester insuffisantes pour répondre aux problèmes pressants et urgents. Dans
ces situations exceptionnelles, des règles juridiques moins contraignantes pour le pouvoir
exécutif, le gouvernement et la bureaucratie dan son ensemble, sont considérées comme
une nécessité, voire une exigence (Robert, 1990: 751-752). Dans ce sens, la déclaration
d'état d'urgence est l'une des pratiques juridiques la plus employée par les
gouvernements pour surmonter les moments difficiles dans lequel se trouve un pays.
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L'état d'urgence permet aux gouvernements de limiter et parfois de suspendre, pour une
certaine période bien définie, l'utilisation de certains droits au nom du bien-être de la
nation. L'intérêt général remporte sur l'intérêt des particuliers et les cas extraordinaires
rendent légitime la limitation de jouissance de certains droits
1
.
Les adeptes de FETÖ (Organisation Terroriste Fethullahiste)
2
infiltrés dans l'armée turque
depuis des décennies ont essayé de réaliser un coup d'état le 15 juillet 2016. A la suite
de ce coup raté, le gouvernement d'AKP (Parti de Justice et de Développement) a déclaré
"l'état d'urgence" (Conseil des Ministres, Décision no. 9064, 20 juillet 2016)
conformément à l'article 120 de la Constitution turque
3
, en vue de combattre cette
organisation terroriste. C'est ainsi que l'état d'urgence est entré en vigueur dans tout le
pays à partir de 21 juillet 2016.
Comme il y avait une menace directe contre la démocratie et que 251 personnes ont é
tuées lors de la tentative de coup d'état, l'opinion publique turque était favorable pour la
mise en œuvre des mesures rapides et efficaces envers cette organisation terroriste.
Donc, dans cette atmosphère politique et avec une approche sécuritaire, la claration
1
Pour une analyse approfondie sur l'état d'urgence voir, Halpérin, Jean-Louis; Hennette-Vauchez, Stéphanie;
Millard, Eric (2017). L'état d'urgence: De l'exception à la Banalisation. Paris: Presse Paris Nanterre; Morand-
Deviller, Jacqueline (2016). "Réflexions sur l'état d'urgence". Revista de Investigações Constitucionais.
Curitiba. Vol. 3, n. 2: pp. 51-64. Accessible sur DOI: http://dx.doi.org/10.5380/rinc.v3i2.46476
2
Les origines de FETÖ remontent aux années 1970. FETÖ est apparu comme un mouvement religieux
pacifique et s'appelait le "mouvement de service". Le but affiché de ce mouvement était de servir et de
transformer la société par l'éducation, l'action civique et le média. Dans ce cadre, les partisans de ce
mouvement ont ouvert des milliers d'écoles, centres d'éducation et des foyers d'étudiants qui ont servi pour
recruter des adeptes dès très jeunes âges. Ils ont fondé des chaines de tv et publié des journaux pour
diffuser leurs idées et faire leur propagande. Ce mouvement religieux maîtrisait également des ressources
financières importantes. Ils se sont organisés aussi à l'étranger et ont ouvert des centaines d'écoles dans
des pays divers. Ce mouvement religieux s'inspirait des missionnaires chrétiens.
Sous l'orientation des dirigeants de ce mouvement, les jeunes adeptes sont incités à devenir des
fonctionnaires publiques et surtout à s'organiser dans l'armée et la police. Les questions des examens
d'entrée aux écoles d'armées et de police étaient systématiquement volées grâce à l'aide des collaborateurs
infiltrés dans ces institutions. Avec le temps, les fidèles de ce mouvement ont augmenté et sont devenus
puissant dans la bureaucratie.
Quand le parti d'AKP est arrivé au pouvoir en 2002, il a préféré faire une alliance avec ce mouvement
religieux et a profité de ses cadres dans la bureaucratie contre le "Kémaliste establishment", leur ennemi
commun. Sous la protection de l'autorité politique, ce mouvement religieux est devenu plus fort que jamais.
L'alliance officieuse entre l'AKP et ce mouvement religieux a marché bien pendant dix années. Mais à partir
de 2012, cette alliance a commencé à être ébranlée et le combat pour accaparer le pouvoir tout seul s'est
intensifié. Les tentatives de réconcilier les anciens partenaires sont restées sans résultat. En décembre
2013, les adeptes de FETÖ dans la police et dans la justice ont mené deux opérations d'anti-corruption
contre certains ministres et leurs proches. A partir de ce moment, la lutte entre ces deux parties est devenue
publique. L'AKP a qualifié ces opérations d'anti-corruption comme "coup d'état" et le mouvement religieux
comme "FETÖ/PDY", acronyme qui signifie "Organisation Terroriste Fethullahiste/Structure Étatique
Parallèle". Pour plus d'information voir; Mert, Ali Osman (2016). 15 July Coup Attempt and the Parallel State
Structure. Ankara: Publications of the Presidency of the Republic of Turkey. Accessible sur
https://www.tccb.gov.tr/assets/dosya/15Temmuz/15temmuz_en2.pdf; Le Point (21 juillet 2016). "Qui sont
les Gulenistes, accusés d'avoir installé un "État paralle" ?". [Consulté le: 04.04.2020]. Accessible sur
https://www.lepoint.fr/monde/qui-sont-les-gulenistes-accuses-d-avoir-installe-un-etat-parallele-21-07-
2016-2056000_24.php
3
Article 120 de la Constitution turque: "En cas d'apparition d'indices sérieux d'extension d'actions violentes
visant à renverser l'ordre démocratique libre instauré par la Constitution ou à supprimer les droits et libertés
fondamentaux ou en cas de perturbation sérieuse de l'ordre public en raison d'actes de violence, le Conseil
des ministres réuni sous la présidence du Président de la publique peut, après avoir consulté le Conseil
de sécurité nationale, proclamer l'état d'urgence dans une ou plusieurs régions du pays ou sur l'ensemble
du territoire, pour une durée ne dépassant pas six mois." [Consulté le: 10.03.2020]. Le texte intégral en
français de la Constitution turque est accessible sur https://mjp.univ-perp.fr/constit/tr1982.htm et
https://mjp.univ-perp.fr/constit/tr1982-2.htm
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d'état d'urgence était perçue comme une nécessité pour pouvoir surmonter cette
situation extraordinaire.
Les membres du gouvernement, dans des divers reportages télévisés, ont déclaré à
plusieurs reprises que
"l'état d'urgence ne va durer que trois mois et peut-être moins. Parce que le
gouvernement est conscient que l'état d'urgence n'est pas quelque chose de
souhaitable. Il ne faut pas oublier que c'était ce gouvernement qui avait mis
fin à l'état d'urgence en vigueur depuis des années dans la région sud-est du
pays. Une fois que les institutions publiques sont nettoyées finitivement
des terroristes de FETÖ, l'état d'urgence sera levé le plus vite possible
(Milliyet, 22 juillet 2016).
Mais dans la pratique, à l'envers des déclarations indiquée ci-dessus, le gouvernement,
en prétendant la gravité de la menace et la complexité de la structure terroriste, a opté
de prolonger successivement l'état d'urgence tous les trois mois
4
. C'est ainsi que l'état
d'urgence a duré d'une manière ininterrompue deux années, entre 21 juillet 2016 et 19
juillet 2018. Malgré les appels réguliers faits dès le début au gouvernement par les partis
d'opposition pour mettre fin immédiatement à l'état d'urgence (Grande Assemblée
Nationale de Turquie, Procès-verbal de la 117ème Session: 21 juillet 2016), le
gouvernement a préféré rester indifférent à ces appels.
2. Les DLE sous le régime d'état d'urgence: des compétences sans
contrôle
Quand le gouvernement a adopté, le 25 juillet 2016, le "décret-loi extraordinaire no. 668
relatif aux mesures requises dans le cadre d'état d'urgence et à la régulation de certaines
institutions", le principal parti d'opposition, le CHP (Parti Populaire Républicain) a fait un
recours le 23 septembre 2016 à la Cour Constitutionnelle pour l'anti-constitutionnalité de
ce DLE et en même temps a demandé sursis d'exécution pour ce DLE avec le motif
d'empêcher des conséquences irréparables en cas de mis en œuvre
5
.
4
L'état d'urgence a été prolongé 7 fois par le parlement. Les décisions de la Grande Assemblée Nationale de
Turquie (TBMM) relatives à la prolongation de l'état d'urgence: Décision no. 1182 (18.04.2018); Décision
no. 1178 (18.01.2018); Décision no. 1165 (17.10.2017); Décision no. 1154 (17.07.2017); Décision no.
1139 (18.04.2017); Décision no. 1134 (03.01.2017); Décision no. 1130 (11.10.2016). [Consulté le:
11.03.2021]. Accessible sur
https://www.tbmm.gov.tr/develop/owa/tbmm_kararlari_gd.sorgu_yonlendirme
5
Le CHP, dans son recours, a souligné les points suivants: l'état d'urgence est une période provisoire où des
mesures exceptionnelles peuvent être mises en œuvre. Ces mesures doivent être relatives aux événements
et aux sujets qui ont nécessité la déclaration d'état d'urgence. Ces mesures ne devraient être valables que
pendant la période d'état d'urgence. Ceci dit, avec la fin de l'état d'urgence, des mesures exceptionnelles
aussi devraient disparaitre. La déclaration d'état d'urgence ne suspend en aucun cas le droit et la
constitution. L'état d'urgence n'est pas un régime arbitraire et le pouvoir exécutif doit se conformer aux
principes de l'État de droit. Selon le CHP, "Le décret-loi extraordinaire no. 668 relatif aux mesures requises
dans le cadre d'état d'urgence et à la régulation de certaines institutions" contenait des mesures sans
rapport avec les cas qui ont causé la déclaration d'état d'urgence et apportait des modifications qui passent
au delà de la période de l'état d'urgence. Pour les raisons indiquées ci-dessus, le CHP a prétendu que le
DLE en question était contraire aux articles 2, 6, 7, 8, 11 et 121 de la Constitution et devrait être annulé
(Cour Constitutionnelle,12.10.2016: para. 2).
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La Cour Constitutionnelle turque a décidé le 12 octobre 2016 avec unanimité que selon
l'article 148 de la constitution
6
, l'anti-constitutionalité des DLE des périodes d'état
d'urgence ne peuvent pas être évoquées et par conséquent s'est considérée
incompétente pour le contrôler (Cour Constitutionnelle, 12.10.2016: paras. 25-27). En
fait, avec cette décision, la Cour Constitutionnelle changeait sa jurisprudence antérieure
elle se considérait compétente pour contrôler et annuler les DLE pour motif
d'inconstitutionnalité, y compris pendant les périodes d'état d'urgence (Cour
Constitutionnelle, 10.01.1991: Section IV et V). Dans ses décisions précédentes, la Cour
Constitutionnelle affirmait qu'elle devrait examiner la vraie nature juridique des DLE sans
être l par son appellation et sa forme (Ibid., Section IV: para. A-3-(a) et (c)). Elle
ajoutait aussi que dans les régimes démocratiques, l'état d'urgence ne correspond pas à
un régime arbitraire et ne suspend pas l'État de droit (Ibid., Section IV: para. A-1); que
les régulations mises en place par les DLE ne devraient pas dépasser les limites et
l'objectif de ltat d'urgence (Ibid., Section IV: para. A-2) et ne pouvaient pas s'étendre
aux régions et aux provinces qui tombent en dehors de l'état d'urgence (Ibid., Section
IV: para. A-3-(b)). Avec les considérations susmentionnées, la Cour Constitutionnelle
avaient annulé, dans le passé, plusieurs DLE par vote majoritaire (Cour Constitutionnelle,
10.01.1991; 03.07.1991; 26.05.1992 et 22.05.2003).
Avec le changement de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, une "compétence
sans limite et sans contrôle" a été reconnue au pouvoir exécutif par le pouvoir judiciaire.
Le pouvoir politique avait obtenu un "chèque en blanc" de la Cour Constitutionnelle
(Adadağ, 2019: 147). Théoriquement, l'autorité politique, s'il le souhaitait, par un simple
DLE, pouvait suspendre, voire abroger toute la Constitution et dissoudre quelconque
institution, y compris la Cour Constitutionnelle. Le pouvoir exécutif était exempté de tout
contrôle juridique et légal pendant la période d'état d'urgence. Les compétences
reconnues par ltat d'urgence avaient déjà permis au pouvoir exécutif d'utiliser aisément
le pouvoir législatif via des DLE. Et en plus, grâce à la décision de la Cour
Constitutionnelle, le pouvoir politique était doté d'une irresponsabilité exceptionnelle
pour ses actes. Cette nouvelle jurisprudence de la Cour Constitutionnelle a ai en même
temps le parti au pouvoir de rester indifférent aux critiques d'abus de compétences de
l'opposition.
D'autre part, la bureaucratie sécuritaire s'est rapidement adaptée à ce processus d'état
d'urgence et, grâce à l'encouragement du pouvoir politique, a accru ses actions
arbitraires. Les décisions des instances juridiques qui privilégiaient la sécurité de l'État
sur les droits et les libertés individuels ont davantage incité la bureaucratie sécuritaire à
sous-estimer les droits fondamentaux. L'assurance implicite et ensuite légale
7
conférée
6
Article 148 de la Constitution turque: "La Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution,
quant à la forme et quant au fond, des lois, des décrets-lois et du Règlement intérieur de la Grande
Assemblée nationale de Turquie. En ce qui concerne les amendements constitutionnels, son examen et son
contrôle portent exclusivement sur la forme. Toutefois, les crets-lois édictés, en riode d'état d'urgence,
d'état de siège ou de guerre ne peuvent pas faire l'objet d'un recours en inconstitutionnalité devant la Cour
constitutionnelle, ni quant à la forme, ni quant au fond." [Consulté le: 10.03.2020]. Le texte intégral en
français de la Constitution turque est accessible sur https://mjp.univ-perp.fr/constit/tr1982.htm et
https://mjp.univ-perp.fr/constit/tr1982-2.htm
7
"Loi no. 6755 relative à l'adoption avec des modifications du DLE concernant les mesures prises dans le
cadre d'état d'urgence et des régulations apportées à des institutions publiques" a été adoptée le 08
novembre 2016. L'article 37 de cette loi est relatif à l'impunité juridique, administrative, pénale et financière
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aux forces de sécurité et à la bureaucratie en générale (Commission de Venise, 12
décembre 2016: paras. 95-97; OHCHR, 2018: paras. 5 et 45; OHCHR,
A/HRC/WG.6/35/TUR/2, 20-31 Janvier 2020: para. 23) a facilité et multiplié les violations
des droits de l'homme pendant l'état d'urgence.
La psychologie d'impunité dans l'administration publique était vite répandue. Les lois qui
étaient appliquées soigneusement auparavant étaient maintenant ignorées. Par exemple,
au début de l'état d'urgence, les personnes affectées par les DLE ont voulu bénéficier du
droit à l'information. Les personnes expulsées de leurs fonctions publiques ne pouvaient
obtenir aucune information sur les raisons de leurs expulsions. Or, selon la loi no. 4982
relative au droit à l'information
8
, chaque personne, qu'il soit citoyen turc ou bien
étranger, a le droit de demander d'information sur les actes administratifs concernant
lui-même; et l'administration intéressé doit, dans un délai de 15 jours de travail, fournir
par écrit les informations et les documents demandés (Loi relative au Droit à
l'Information, 2003: articles 4 et 11). Malgré cette loi très nette, les demandes
d'information restaient sans réponse. Le Conseil de l'Évaluation de Droit à l'Information,
autorité publique chargée de la mise en œuvre de la loi en question, a décidé
unanimement que les demandes d'information concernant les actes émanant des DLE et
surtout ceux relatifs à l'expulsion des fonctionnaires restent en dehors du droit à
l'information et donc ne seront pas répondues (Conseil de l'Évaluation de Droit à
l'Information, 04 août 2016).
L'autorité politique et la bureaucratie s'étaient accoutumées au confort et à
l'irresponsabilité de cette période exceptionnelle relativement longue. Quand l'état
d'urgence a été finalement levé le 19 juillet 2018, le parti au pouvoir avait déjà décidé
de passer une loi
9
qui lui permettrait d'employer les pratiques de la période d'état
d'urgence dans les périodes dites "normales" (OHCHR, A/HRC/WG.6/35/TUR/3, 20-31
janvier 2020: paras. 8 et 29). En fait, d'un part "l'état d'urgence temporaire" était
terminé, mais d'autre part "l'état d'urgence permanent", sans le nommer d'état
d'urgence, était entré en vigueur. L'approche sécuritaire avait continué à régner sur
l'approche juridique et libertaire même après la fin de ltat d'urgence, et ce grâce à
l'aide de la majorité parlementaire d'AKP et de son allié MHP (Parti d'Action Nationaliste),
et malgré les vives objections de l'opposition.
des "bureaucrates" qui ont mis en œuvre les ordres dans le cadre d'état d'urgence. Voir, Journal Officiel de
la République de Turquie no. 29898 (24.11.2016). Ankara.
D'autre part, l'article 121 du DLE no. 696 est relatif à l'impunité pénale et financière des "civils" qui ont
assisté à empêcher la tentative de coup d'état du 15 juillet 2016. Voir, DLE no. 696 (24 cembre 2017).
Journal Officiel de la République de Turquie no. 30280 (24.12.2017). Ankara.
8
La loi relative au Droit à l'Information a été adoptée le 09 octobre 2003 en vue de l'harmonisation de la
législation turque avec l'acquis communautaire, dans le processus de la candidature de la Turquie à l'Union
Européenne.
9
"Loi no. 7145 relative à la Modification de Certains Lois et Décrets-Lois" a été adoptée juste après la fin de
l'état d'urgence, le 25 juillet 2018. Avec cette loi, plusieurs limitations apportées aux droits et aux libertés
des individus pendant la période de l'état d'urgence ont été prolongées pour les prochaines 3 années. Par
exemple, les Ministres étaient dotés de la compétence d'expulser les fonctionnaires sans enquête
disciplinaire pour les prochaines 3 années. La livrance de passeport à ceux qui sont soupçonnés d'actes
de terrorisme pourrait être refusée pour les prochaines 3 années. Les manifestations et les protestations
pendant les soirs ont été interdites. Voir, Journal Officiel de la République de Turquie no. 30495
(31.07.2018). Ankara.
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3. Les expulsions massives des fonctionnaires par les DLE et la
compatibilité de ces DLE avec la CEDH
A partir de 21 juillet 2016, dans le cadre de l'état d'urgence, le gouvernement d'AKP a
adopté successivement plusieurs DLE
10
. Mais certains de ces DLE étaient sans rapport
11
avec les cas qui ont entrainé l'état d'urgence (OHCHR, 2018: paras. 6 et 46). L'article
121 de la Constitution turque
12
relatif à la déclaration d'état d'urgence prévoyait
13
que
les DLE ne peuvent régler que des questions urgentes concernant la situation qui ont
entrainé les conditions de l'état d'urgence et ceci dit, ces régulations extraordinaires ne
peuvent être valable que pendant la riode de ltat d'urgence. Il y avait donc deux
types de limitations essentielles, le contenu et la durée, pour les DLE.
Or, le changement de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle a permis à l'autorité
politique d'adopter des DLE qui auront des effets même après la fin de l'état d'urgence.
L'expulsion des fonctionnaires publiques par des DLE constitue un exemple typique de
cette pratique. Au lieu d'adopter une mesure provisoire, telle qu'éloigner les
fonctionnaires publiques de leurs positions pendant la période d'état d'urgence, le pouvoir
politique a choisi de les écarter définitivement de la fonction publique.
3.1. Expulsion massive des fonctionnaires publiques: des mesures
démesurées de l'état d'urgence
107.944 (Cent sept mille neuf cent quarante-quatre) fonctionnaires publiques
14
ont été
expulsés par les DLE entre juillet 2016 et décembre 2017 (OHCHR, 2018: para. 61). Ces
10
Au total 32 DLE ont été mis en œuvre entre 2016 et 2018, sous le régime d'état d'urgence. Pour les textes
des DLE, voir le site internet du Journal Officiel de la République de Turquie, accessible sur
https://www.resmigazete.gov.tr
11
Certains de ces DLE étaient sans rapport avec les faits qui ont entrainé la déclaration d'état d'urgence, tels
que l'expulsion des fonctionnaires; la fermeture des écoles; la fermeture des chaines de tv, des stations de
radio et des journaux; les modifications dans le code nal; les règles d'utilisation des pneus d'hiver; le
changement de la procédure de nomination des recteurs d'université etc. (Adadağ, 2019: 148).
12
Article 121 de la Constitution turque: "…réglemente … les procédés de limitation ou de suspension des droits
et libertés fondamentaux, conformément aux principes énoncés à l'article 15 de la Constitution, détermine
comment et de quelle manière seront arrêtées les mesures requises par la situation, quel genre
d'attributions seront conférées aux agents des services publics et quel type de modifications seront
apportées à leur statut, et fixe les procédures exceptionnelles d'administration.
Pendant toute la durée de l'état d'urgence, le Conseil des ministres réuni sous la présidence du Président
de la République peut édicter des décrets-lois dans les matières qui rendent l'état d'urgence nécessaire.
Ces décrets-lois sont publiés au Journal officiel et soumis le jour même à l'approbation de la Grande
Assemblée nationale de Turquie…". [Consulté le: 10.03.2020]. Le texte intégral en français de la
Constitution turque est accessible sur https://mjp.univ-perp.fr/constit/tr1982.htm et https://mjp.univ-
perp.fr/constit/tr1982-2.htm
13
Avec le referendum tenu le 16 avril 2017 sur la modification de certains articles de la constitution, l'article
121 de la constitution turque est abrogé.
14
Selon les autorités turques, le nombre total des fonctionnaires expulsés par les DLE entre 2016 et 2018 est
de 125.678 (cent vingt-cinq mille six cent soixante-dix-huit). Voir, Commission chargée d'examiner les
dossiers d'état d'urgence. [Consulté le: 14.03.2020]. Accessible sur https://ohalkomisyonu.tccb.gov.tr
Selon les données recueillies par OHCHR, le nombre total des fonctionnaires expulsés passe 150.000
(Cent cinquante mille) (OHCHR, 2018: para. 61; OHCHR, A/HRC/WG.6/35/TUR/2, 20-31 Janvier 2020:
para. 37).
Cette différence s'explique par le fait que certaines catégories des fonctionnaires, tels que les juges et les
procureurs, ne sont pas expulsés par des DLE mais par des décisions de leurs institutions respectives.
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Vol. 12, Nº. 1 (Mai-Octobre 2021), pp. 218-246
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fonctionnaires publiques en Turquie
Ömer Bedir
225
DLE
15
comprenaient les listes des fonctionnaires expulsées dans leurs annexes. Les listes
étaient classées selon les institutions publiques. Les prénoms-noms, numéros d'identité
particulier des fonctionnaires, le dernier statut ou la position des fonctionnaires, les lieux
de travail (ville-arrondissement) des fonctionnaires figuraient sur ces listes. Et toutes ces
informations privées étaient affichées publiquement par les DLE sur le site internet du
journal officiel.
L'article 2, alinéa 1 de ces DLE stipulait que
"… les personnes citées dans les listes annexées …ceux qui sont considérés
membres, ceux qui sont considérés avoir une appartenance, une relation, une
connexion ou bien une affiliation avec les organisations terroristes, avec des
structures, des formations ou bien des groupes ayant des activités contre la
sécurité nationale de l'État… sont expulsés de leurs fonctions publiques…"
L'article 2, alinéa 2 des DLE prévoyait que "… les personnes expulsées de la fonction
publique ne peuvent plus redevenir fonctionnaire… ne peuvent pas être embauchées
directement ou indirectement pour les fonctions publiques… et leurs passeports sont
annulés…".
Des termes vagues et flous (appartenance, relation, connexion, affiliation et structure,
formation, groupe) étaient employés dans le texte des DLE (Commission de Venise, 12
décembre 2016: para. 129). En fait, toutes les personnes énumérées dans les listes
annexées aux DLE étaient considérés comme des "terroristes", sans aucune décision
juridique.
Le pouvoir politique avait décidé d'expulser ces fonctionnaires sans notification préalable,
sans explication et sans reconnaître le droit de défendre eux-mêmes (Günday, 2017:
35). L'administration, avec l'avantage procuré par l'état d'urgence, n'a pas senti la
nécessité de fournir des preuves concrètes pour les expulsions et a considéré une simple
suspicion suffisante pour cet acte administratif mis en œuvre à travers d'un acte législatif.
Une différenciation dans la sanction à infliger n'était non plus préférée pour les distinctes
catégories (membre, appartenance, relation, connexion ou bien affiliation) énumérées
dans le texte des DLE. Alors que la Convention de Genève interdit la nalisation
collective (Convention de Genève, 1949: art. 33), toutes ces catégories étaient acceptées
comme des "terroristes égaux" et, dans la "guerre sainte" contre le terrorisme, étaient
pénalisées collectivement.
Pendant les deux années qui ont passé sous les conditions d'état d'urgence, plus de 6.000
académiciens, 4.240 juges et procureurs (ça fait un tiers des juges et des procureurs) et
des dizaines de milliers de personnes de professions diverses tels que médecins,
enseignants, soldats, police, ouvrier etc., au total plus de 150 mille personnes, étaient
expulsées de leurs fonctions publiques (OHCHR, 2018: paras. 49 et 61).
15
Pour la liste complète des DLE relative aux expulsions des fonctionnaires, voir le site d'internet de la
Commission chargée d'examiner les dossiers d'état d'urgence. [Consulté le: 14.03.2020]. Accessible sur
https://ohalkomisyonu.tcbb.gov.tr/khklar
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3.2. Les critères retenus pour l'expulsion des fonctionnaires
Au début de l'état d'urgence, au nom de la confidentialiabsolue, aucune information
n'était partagée avec le public sur les critères d'expulsions. Suivant les premières
expulsions massives des fonctionnaires, l'opinion publique et le média ont cherc à
apprendre les critères pris en compte pour ces sanctions draconiennes. Les hommes
politiques ont ainsi explicité les critères et les dates sous-mentionnés.
Selon le pouvoir politique, les dates de 17 et 25 décembre 2013 étaient déterminantes
pour les décisions d'expulsion. Ces dates étaient considérées comme le début du
caractère terroriste de la communauté religieuse, devenue organisation terroriste armée
après la tentative de coup d'état.
D'après l'autorité politique, les principaux critères d'expulsion, donc indice de relation,
connexion, affiliation avec l'organisation terroriste, étaient:
- avoir un compte auprès de "Bank Asya"
16
- utiliser le programme de messagerie "Bylock"
17
- envoyer ses enfants aux écoles
18
en liaison avec ce groupe religieux
- être membre du syndicat d"Aktif-Sen"
19
- être membre des ONG liées à ce groupe religieux et faire des dons à ces ONG
- analyse détaillée des comptes de media social des fonctionnaires.
Pour l'autorité politique, les fonctionnaires qui avaient l'un des critères ci-dessus après
les dates de 17-25 décembre 2013 étaient en relation, forte ou faible, avec l'organisation
terroriste et donc devraient être éloignés définitivement du service public. Mais la date
16
"Bank Asya" était inaugurée le 24 octobre 1996 avec la participation de plusieurs hommes politiques qui
ont occupé dans un temps ultérieur les postes de ministre, premier ministre, voire président (Hürriyet, 04
février 2015). Au fur et à mesure que l'alliance entre cette communauté religieuse et l'AKP marchait bien,
plusieurs institutions publiques avaient orienté leurs fonctionnaires à ouvrir des comptes de salaires chez
les succursales de Bank Asya (Kamu Haber Merkezi, 27 novembre 2016).
17
Il s'agit d'une application de messagerie utilisé majoritairement par les sympathisants de cette organisation.
Le programme de Bylock a été léchargé par plus de 500.000 (cinq cent mille) utilisateurs et était
accessible au public sur Playstore et Applestore (The Guardian, 11 septembre 2017).
18
En raison de leurs qualités éducatives, des centaines de milliers de parents ont envoyé leurs enfants aux
écoles de ce groupe religieux. Ces écoles fonctionnaient galement selon le droit turc et étaient, comme
toutes les autres écoles, sous l'inspection du Ministère de l'Education Nationale. En plus, le gouvernement,
dans le cadre du financement des écoles privées, avait continué à financer les écoles de ce groupe jusqu
15 juillet 2016, c'est-à-dire jusqu'à la date du coup d'état.
Avec l'état d'urgence, 934 écoles en liaison avec ce groupe étaient fermées (Commission de Venise, 12
décembre 2016: para. 81).
Il y avait des ministres, des députés, des fonctionnaires de haut niveau qui étaient diplômés de ces écoles.
Compte tenu du nombre très élevé des personnes influenes par le critère d'école, l'AKP s'est vu obligé
d'assouplir ce critère d'expulsion et a annoncé que ce critère tout seul ne sera plus considéré suffisant pour
les expulsions, mais sera pris en compte en cas d'existence d'autres indices et critères. Voir, Commission
chargée d'examiner les dossiers d'état d'urgence. OHAL Komisyonu Çalışmaları Hakkında Bilgi Notu
(26.12.2019). [Consulté le: 13.03.2021]. Accessible sur https://ohalkomisyonu.tcbb.gov.tr/
19
Le syndicat d'Aktif-Sen opérait dans le domaine d'éducation. Lorsque l'alliance entre ce groupe religieux et
le parti d'AKP fonctionnait bien, ce dernier a encouragé les enseignants à devenir membre du syndicat
"Aktif-Sen". Les cotisations syndicales ont été payées régulièrement par les institutions publiques au lieu
des fonctionnaires jusqu'à 15 juillet 2016 (Kamu Haber Merkezi, 27 novembre 2016).
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retenue pour les expulsions contenait une simple paradoxe (Commission de Venise, 12
décembre 2016: paras. 119, 121 et 125): ceux qui avaient l'un de ces critères, avant les
dates choisies, étaient considérés innocents et éligibles pour continuer à travailler dans
le service publique. Par contre, ceux qui avaient l'un de ces critères, après les dates
choisies, étaient considérés des "terroristes" et ainsi éloignés de leurs fonctions
publiques.
En fait, les dates choisies par le pouvoir politique avaient un sens politique. L'AKP
considérait ces dates comme le début "officiel" d'une "guerre" entre lui et cette
communauté religieuse. Le 17 et 25 décembre 2013, les adeptes de FETÖ infiltrés dans
la police turque ont dirigé deux grandes opérations d'anti-corruption. Les ministres, les
enfants de ministres et beaucoup d'autres politiciens étaient impliqués dans cette affaire
de corruption. Le gouvernement a qualifié ces opérations policières comme mensonge et
tentative de coup civil et juridique contre lui (Anatolian Agency, 14 juillet 2017).
Donc, les critères et les dates annoncés par le pouvoir politique comme fondement pour
les expulsions n'étaient pas "juridiques" mais plutôt "subjectifs" et "politiques". Du point
de vue juridique, avoir un compte dans une banque qui fonctionne conformément au
droit turc, utiliser un programme de messagerie accessible au public sur internet, envoyer
ses enfants aux écoles qui fonctionnent selon le droit turc et qui sont inspectées par le
Ministère de l'Education Nationale, être membre d'un syndicat fondé selon le droit turc,
devenir membre d'une ONG établie conformément au droit turc ne constituent pas une
infraction en soi (Commission de Venise, 12 cembre 2016: paras. 103 et 112). Mais
sous les conditions de l'état d'urgence, les institutions et les actes qui étaient auparavant
légales étaient qualifiés d'illégale avec le changement de la conjoncture politique
20
.
En outre, parmi les fonctionnaires expulsés, il y avait aussi des milliers de personnes qui
ne satisfaisaient aucun de ces critères énoncés
21
. La particularité commune de ces
personnes était leur caractère dissident et leur opposition au pouvoir politique. Les DLE
étaient devenus également, aux mains de l'autorité politique, des instruments pour
éloigner les dissidents et les opposants du service public (OHCHR, 2018: para. 42). A
part les sanctions d'expulsion, une grande partie de ces fonctionnaires devraient aussi
faire face à des procès criminels initiés contre eux, avec l'accusation d"être membre à
une organisation terroriste armée" (OHCHR, 2018: paras. 10 et 82).
20
Dans le cadre d'une demande d'extradition, le Ministère de la Justice a présenté le 08 novembre 2018, via
son conseillère juridique à l'Ambassade de Turquie à Londres, un document au tribunal de Westminster en
Grande Bretagne. Dans ce document, il était indiqué qu'avoir un compte auprès de Bank-Asya n'était pas
un crime en soi et que l'utilisation du programme de Bylock n'était pas un crime s'il n'y avait pas de contenu
criminel. Donc, les autorités turques avaient réfuté les deux critères d'expulsions avec ce document. Quand
ce document était publié dans les journaux, le Ministère de la Justice a claré que le document ne reflétait
pas la position officielle du Ministère et qu'il était rédigé par l'initiative du Conseillère juridique lui-même
sans consulter le Ministère (Odatv.com, 01 décembre 2018).
21
1.128 académiciens de 89 universités turques ont signé, en janvier 2016, une pétition commune disant non
à la violence dans le sud-est du pays. Après la déclaration d'état d'urgence, les signataires étaient expulsés
de leurs positions académiques par les DLE et des procès criminels avec l'accusation de terrorisme étaient
initiés contre eux (OHCHR, 2018: para. 74).
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3.3. La conformité des DLE avec la CEDH
Par les DLE expliqués ci-dessus, plusieurs articles de la CEDH ont été violés
22
:
Article 6 de la CEDH "Droit à un procès équitable"
Les actes légaux comme envoyer ses enfants aux écoles opérant conformément au droit
turc, avoir un compte auprès d'une banque opérant conformément au droit turc etc.,
sont clarés des actes illégaux, contrairement aux principes universels de l'État de droit
et de la prévisibilité de droit.
Les fonctionnaires expulsés étaient accusés publiquement d'être "terroriste" et donc ont
subi une diffamation sans équivoque. Ils étaient déclarés coupables sans aucune décision
juridique. Ces personnes étaient condamnées par une décision politique et à travers d'un
acte législatif adopté par le Conseil des Ministres (Commission de Venise, 12 décembre
2016: para. 132).
Les personnes concernées n'ont pas eu la possibilité d'apprendre les raisons et les
preuves des accusations dirigées contre eux. Aucun document, information, dossier
n'était transmis aux personnes intéressées et toutes leurs demandes d'information sont
laissées sans réponse.
Des termes vagues et flous (contact, relation, appartenance, membre; structure,
formation, groupe) sont employés dans les DLE. En fait, toutes les personnes énumérées
dans les listes annexées aux DLE sont soupçonnées, sans distinction, d'être "terroriste"
et sont nalisées collectivement. La présomption d'innocence était intentionnellement
négligée par les DLE.
Les informations personnelles des ex-fonctionnaires ont été publiées sur le site internet
du journal officiel. Non seulement les ex-fonctionnaires mais aussi leurs familles étaient
stigmatisées et ciblées délibérément par cet acte de publication. En plus, les passeports
des membres de famille des ex-fonctionnaires, y compris ceux des mineurs, ont été
annulés. Dans ce sens, il s'agit d'une nalisation collective mise en œuvre contre les
membres de famille des ex-fonctionnaires.
[k1]
Article 8 de la CEDH "Droit au respect de la vie privée et familiale"
Les fonctionnaires expulsés étaient accusés d'un crime grave, le "terrorisme". Les
informations personnelles (nom-prénom, titre, institution, numéro de fonctionnaire, lieu
de travail) de ces personnes étaient publiées sur le site internet du journal officiel. En
publiant ces informations personnelles, on a voulu pénaliser psychologiquement non
seulement les ex-fonctionnaires eux-mêmes mais aussi les membres de leurs familles
collectivement. Afficher publiquement les informations privées de ces personnes entraine
22
En fait, le pouvoir politique était bien conscient que les DLE n'étaient pas conforme au droit et aux droits
de l'homme et que si les dossiers relatifs aux DLE et aux pratiques de l'état d'urgence arrivaient devant la
CtEDH, cette dernière condamnerait, fort probablement, les actes en question. Dans ce cadre, juste après
la fin de l'état d'urgence, le 25 juillet 2018, la loi no. 7145 permettant la "déclaration unilatérale" a été
adoptée. La "déclaration unilatérale" qui n'existait pas jusqu'à cette date dans la législation turque était
ainsi incluse dans le code pénal et le code administratif. Le système judiciaire s'était doté maintenant d'une
seconde arme, à part le règlement amiable, en cas de constat des violations des droits de l'homme par la
CtEDH. Voir, "Loi no. 7145 relative à la Modification de Certaines Lois et Décrets-Lois" (25 juillet 2018).
Journal Officiel de la République de Turquie no. 30495 (31.07.2018). Ankara.
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aussi leurs exclusions de la vie sociale et de la vie de travail. Il s'agit non seulement
d'une atteinte au respect de la vie privée et familiale mais aussi d'une discrimination.
Article 13 de la CEDH "Droit à un recours effectif"
Les expulsions ont été réalisées par des DLE et, selon la Cour Constitutionnelle turque,
les DLE des périodes d'état d'urgence étaient hors contrôle juridique
23
. A la suite de cette
décision de la Cour Constitutionnelle, les tribunaux administratifs et le Conseil d`État se
sont aussi déclarés incompétents pour examiner les DLE. Donc, toutes les voies juridiques
internes étaient devenues inaccessibles pour renverser les décisions d'expulsions.
Comme toutes les voies juridiques internes étaient rendues ineffectives, il n'y avait
qu'une option à recourir: la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CtEDH). Dans un
peu de temps, dizaines de milliers de recours ont été envoyés par les ex-fonctionnaires
turcs à la CtEDH
24
.
Article 14 de la CEDH "Interdiction de discrimination" et Protocole 12, Article 1
"Interdiction Générale de la Discrimination"
Suivant les expulsions par les DLE, une "note explicative"
25
pour chaque personne
expulsée était inscrite à son dossier personnel auprès de l'Institution de la Sécurité
Sociale turque: quand une personne cherche un emploi, les employeurs peuvent
consulter le dossier personnel de l'intéressé sur le site internet de l'Institution de la
Sécurité Sociale pour confirmer certaines informations fournies (ancien lieu de travail,
durée de travail etc.) par le demandeur d'emploi et voient directement les notes
explicatives. A cause de ces notes explicatives, la plupart des employeurs refusent
d'embaucher les fonctionnaires expulsés par peur d'avoir des problèmes avec les
autorités publiques (T24, 25 septembre 2017).
Cette pratique de "note explicative" montre que l'autorité politique a voulu rendre
presque impossible pour ces personnes de trouver un emploi me dans le secteur
privé
26
. Cette pratique entraine l'exclusion des ex-fonctionnaires de la vie de travail et
social, et constitue une discrimination. L'autorité politique a voulu pénaliser les ex-
fonctionnaires et leurs proches non seulement politiquement mais aussi économiquement
et socialement (mort civile), et ceci dit d'une manière permanente.
Un autre acte de discrimination est relatif aux enfants des fonctionnaires expulsés: les
enfants de ces personnes étaient devenus sujets de suivi et de fichage à cause des écoles
où ils ont étudié. Or, ces écoles fonctionnaient conformément au droit turc et recevaient
des aides financiers du Ministère de l'Education jusqu'à 15 juillet 2016. Ce fichage contre
les mineurs porte le risque d'ouvrir la voie pour des nouvelles pratiques discriminatoires
à l'encontre d'eux dans l'avenir.
Les appels faits par des politiciens pour la re-adoption de la peine capitale constituent un
autre acte de discrimination. Certains partis politiques ont fait campagne en faveur de la
23
Voir p. 5-6
24
Voir p. 17
25
La note explicative est comme le suit: "(Nom-Prénom) est expulsé de la fonction publique par le décret-loi
extraordinaire no...".
26
Les licences de travail de certaines catégories des fonctionnaires expulsés, tel que les avocats, les pilots
d'avion et les enseignants etc., étaient annulées par les DLE. Ceci équivalait dans la pratique à l'invalidation
de leurs diplômes universitaires et donc rendait impossible de pratiquer leurs métiers dans le secteur privé.
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re-adoption de la peine capitale et ont promis de l'appliquer aux "terroristes" (Hürriyet,
19 juillet 2016). Compte tenu de la simplicité de l'accusation de terrorisme, les ex-
fonctionnaires étaient devenus cibles d'une chasse aux sorcières
27
. Dans ce sens, il s'agit
d'un crime de haine et de discrimination.
[k2]
Protocole additionnel 1, Article 1 "Protection de la propriété"
Aucune indemnité n'était payée aux personnes licenciées par les DLE. Or, selon la
législation turque, les autorités concernées devraient payer l'indemnité méritée aux
fonctionnaires conformément à la durée de leur travail. Dans ce sens, le droit de propriété
a été violé.
Protocol Additionnel 4, Article 2 "Liberté de Circulation"
Conformément aux dispositions des DLE, les passeports des fonctionnaires expulsés et
les passeports de leurs membres de famille, y compris ceux des mineurs, étaient annulés.
Pendant ltat d'urgence, les ex-fonctionnaires et les membres de leurs familles étaient
interdits de voyager à l'étranger (OHCHR, 2018: para. 14). Le principe de responsabili
juridique individuelle est une valeur universelle reconnue par tous les systèmes juridiques
modernes. Ce principe universel de ltat de droit a été profondément négligé. Les
membres de famille des ex-fonctionnaires étaient pénalisés justement à cause de leurs
proches (OHCHR, A/HRC/WG.6/35/TUR/2, 20-31 Janvier 2020: para. 12).
Après la fin de l'état d'urgence, l'interdiction de voyage à ltranger était partiellement
levée, surtout pour les mineurs. Mais cette interdiction continue toujours pour les ex-
fonctionnaires même si l'état d'urgence est officiellement terminé. Le Ministère de
l'Intérieur, après les examens nécessaires du point de vue de la sécurité nationale, peut
exceptionnellement décider la délivrance de passeport aux fonctionnaires expulsés. Dans
la pratique, les recours de passeport sont refusés par le Ministère de l'Intérieur, sauf pour
les personnes qui ont besoin d'un traitement médical urgent à ltranger. Et ces
personnes doivent prouver l'urgence de leur maladie avec des documents médicaux.
4. La position des acteurs internes et externes face aux pratiques de
l'état d'urgence
Face aux pratiques de l'état d'urgence et les expulsions massives des fonctionnaires, des
principaux acteurs internes et externes ont exprimé leurs inquiétudes et ont demandé au
gouvernement de respecter les droits de l'homme et de veiller l'indépendance judiciaire.
4.1. La Position des Principaux Acteurs Internes
La simplicité et la massivité des expulsions, l'absence de recours juridique contre les DLE,
les détentions et les emprisonnements généralisés
28
, l'interdiction des manifestations et
27
Le pouvoir politique a appelé publiquement les citoyens à dénoncer à la police ou bien à des procureurs les
personnes qui ont des liens avec l'organisation terroriste (cnnturk.com, 10 août 2016). Ensuite, les autorités
politiques ont du admettre que des gens innocents étaient aussi devenus victimes de ces dénonciations
(T24, 07 septembre 2016).
28
Des enquêtes judiciaires avec l'accusation de terrorisme étaient initiées pour plus de 500.000 (cinq cent
mille) personnes pendant la période d'état d'urgence (Cumhuriyet, 03 mars 2019).
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des protestations
29
ont produit un climat de peur et de méfiance. Les dénonciations, les
pétitions sans signatures, les diffamations, voire les rumeurs effrayaient non seulement
les fonctionnaires publiques mais aussi les citoyens ordinaires
30
.
4.1.1. Les Juristes
Les juges et les procureurs avaient témoigné l'expulsion et l'arrestation de milliers de
leurs collègues. Cette situation a eu un effet psychologique non-négligeable sur
l'indépendance et l'impartialité du corps judiciaire. Tout de même, les juges qui osaient
donner des décisions ne plaisant pas l'autorité politique étaient soit limogés soit exilés
(T24, 27 mai 2017). Donc, la pression politique et les sanctions potentielles du "Conseil
des Juges et des Procureurs"
31
, restructuré après la tentative de coup d'état et hautement
politisé à la suite de cette restructuration, ont eu des effets néfastes sur l'indépendance
judiciaire (Human Rights Watch, 4 avril 2017).
Il y avait aussi des juges et des procureurs tatistes" qui croyaient que les mesures
prises par le pouvoir politique étaient justes et dans des circonstances extraordinaires
l'État de droit pourrait être suspendu (GazeteDuvar, 13 mars 2020). Cette typologie de
juristes décourageait davantage les juges et les procureurs qui ne voulaient pas céder
devant l'autorité politique.
D'autre part, tout au début de la proclamation d'état d'urgence, une grande partie des
avocats, par peur d'être ciblé par l'autorité politique, ont refusé de défendre les
personnes arrêtées avec l'accusation de terrorisme (OHCHR, 2018: para. 57; OHCHR,
A/HRC/WG.6/35/TUR/2, 20-31 Janvier 2020: para. 25). Cette situation atypique était en
fait l'indicateur de la peur généralisée même au niveau des avocats dont les métiers
essentiels sont de défendre leurs clients.
En outre, pour la première fois dans l'histoire juridique turque, il y a eu des cas les
tribunaux de la première instance n'ont pas respec les cisions de la Cour
Constitutionnelle et de la CtEDH (Amnesty International, 2020; T24, 14 janvier 2018).
Cette résistance incompréhensible et chaotique de certains tribunaux mettait en cause la
hiérarchie indispensable entre les instances juridiques et diminuait la confiance au
système judiciaire. Ces actes de certains tribunaux étaient aussi la preuve de la
politisation de la justice.
Dans ces conditions d'état d'urgence, le pouvoir judiciaire était d'un part impuissant face
au pouvoir exécutif pour empêcher les violations des droits de l'homme et d'autre part,
compte tenu de la décision de la plus haute instance judiciaire sur la constitutionnalité
Plus de 55.000 (cinquante cinq mille) personnes étaient emprisonnées avec l'accusation d'être membre à
l'organisation terroriste FETÖ (OHCHR, 2018: para. 82).
En 2002, le nombre des prisonniers était 59.429 et en 2019 le nombre des prisonniers avait dépassé
282.000. Le nombre des prisonniers avait augmenté 470 % en 17 années (GazeteDuvar, 06 avril 2020).
29
Les préfets de 81 villes étaient ordonnés, dans le cadre de l'état d'urgence, d'interdire les meetings et les
rassemblements, s'ils le considéraient nécessaire (Tombuloglu & Kolay, 2017: 1).
30
Plusieurs personnes effrayées que leurs noms ou leurs comptes bancaires sont utilisés par le groupe
terroriste, étaient fraudées par des criminels qui se présentaient comme police ou procureur (cnnturk.com,
18 mars 2020).
31
L'autorité supérieure habilitée de mener des enquêtes disciplinaires pour les juges et les procureurs en vue
de les suspendre ou de les expulser.
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des DLE, manquait la volonté nécessaire pour confronter l'autorité politique pour
défendre les droits de l'homme.
4.1.2. Les Partis Politiques d'Opposition
Le gouvernement d'AKP est au pouvoir depuis 2002. Il a remportoutes les élections
générales et présidentielles depuis cette date et jouit d'un soutien électoral élevé. Les
partis politiques d'opposition demeurent faibles face à l'AKP, et ce dernier, en employant
des manœuvres politiques, réussit à déjouer une alliance des partis d'opposition
susceptibles de le renverser.
La tentative de coup d'état a fourni à l'AKP une légitimité démocratique accrue et a
renforcé, aux yeux du peuple, son image de victime et en même temps hérque vis-à-
vis des forces non-démocratiques. En tant que champion de démocratie, il profite sur la
scène politique d'un avantage psychologique et morale par rapport à ses adversaires. En
plus, la tentative de coup d'état a donné l'opportunité de mettre en place des mesures
radicales ignorant les droits fondamentaux et de réaliser des changements systémiques
qui n'étaient pas possible dans les temps normaux
32
. L'AKP usait jusqu'à la fin l'argument
le plus fort des temps modernes, la lutte contre le terrorisme, contre ses opposants
33
.
Même si les partis politiques d'opposition ont objecté aux pratiques non-démocratiques
du pouvoir politique et ont critiqué sévèrement les violations des droits de l'homme, ils
sont restés insuffisants, au sens du nombre des parlementaires, pour contrarier l'AKP
dans ses actes législatifs
34
. En outre, ils n'étaient pas capables de mobiliser les masses
et d'être une source d'espoir pour les électeurs, ce qui facilitait à son tour la position
d'AKP pour poursuivre ses politiques d'état d'urgence.
4.1.3. Média
En Turquie, actuellement 90 % du média est pro-gouvernementale
35
(Reporters Sans
Frontières, Turkey: Press Freedom Figures). Les dissidents ont des difficultés énormes
pour faire entendre leurs voix sur le média conventionnel. A cause de l'atmosphère
politique tendue pendant la période de l'état d'urgence, même le média à caractère
opposant s'est senti obligé de pratiquer autocensure (OHCHR, 2018: para. 92).
Les dissidents ne peuvent non plus utiliser effectivement le média social et les
plateformes d'internet
36
, car les comptes sociaux critiques sont souvent suivis par la
32
En avril 2017, sous les conditions d'état d'urgence, l'AKP a proposé des modifications constitutionnelles
avec le soutien de MHP.
OHCHR et la Commission de Venise ont constaté que les modifications proposées étaient de nature anti-
démocratique et autoritaire (OHCHR, 2018: paras. 31, 35, 36 et 93; Commission de Venise, 13 Mars 2017).
33
Lors de la campagne électorale pour le referendum constitutionnel d'avril 2017, l'alliance d'AKP et de MHP
accusait publiquement les gens disant non au referendum de s'allier avec les putschistes et des terroristes
(Tombuloglu & Kolay, 2017: 3).
34
Dans les élections générales organisées le 24 juin 2018, sous les conditions d'état d'urgence, l'AKP a obtenu
42,56% des votes et 295 députés sur 600 (haberler.com, 24 juin 2018).
35
Le média pro-AKP est baptisé comme "media de piscine", un terme faisant référence à une "piscine" remplie
(financée) par les fonds publics et utilisée selon les besoins de ses maîtres (Yeniçağ, 05 mars 2019).
36
L'accès au plus de 114.000 sites web, y compris le Wikipédia, était interdit (Parlement européen, Résolution
2018/2150 (INI): para. 8; OHCHR, 2018: para. 13). L'accès à Wikipédia était interdit le 29 avril 2017 et
cette interdiction a duré plus de 2 années. La Cour Constitutionnelle turque a décidé le 26 décembre 2019
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Les pratiques de l’état d’urgence et les droits de l’Homme: le cas d’expulsions massives des
fonctionnaires publiques en Turquie
Ömer Bedir
233
police d'internet et les partages de messages deviennent souvent un procès contre les
émetteurs. Le risque d'emprisonnement constitue une source de dissuasion non-
négligeable pour l'indépendance du média (OHCHR, A/HRC/WG.6/35/TUR/2, 20-31
Janvier 2020: para. 30; Reporters Sans Frontières, 2018)
37
.
Lorsqu'une personne ou bien quelconque institution (journal, site d'internet etc.) devient
une cible politique, d'abord les "trolls"
38
commencent à insulter et à intimider la personne
ou l'institution concernée. Ensuite, les journalistes du "média de piscine" continuent à
faire des nouvelles dénonciatrices ou légèrement menaçante. Dans la dernière phase, la
justice ouvre des enquêtes et décide à l'emprisonnement. Ce cycle se répète pour les
dissidents et les opposants qui ne plaisent pas aux forces dominantes.
Comme une grande partie du media était pro-gouvernementale et que les journalistes
avec la tendance d'opposition risquaient des peines d'emprisonnement et des attaques
physiques (Human Rights Watch, 2016: 33), le média ne pouvait pas remplir
suffisamment ses fonctions prévues dans une mocratie et conséquemment les
violations des droits de l'homme ne trouvaient pas suffisamment de place dans les
nouvelles et les journaux.
4.2. La position des principaux acteurs externes
Le 21 juillet 2016, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe a été informé par les
autorités turques, conformément à l'article 15 de la CEDH, que les mesures adoptées
après la tentative de coup d'État peuvent inclure une dérogation aux obligations énoncées
par la Convention
39
. Dans les semaines suivantes, plusieurs autres notifications ont suivi
après la promulgation des décrets-lois d'urgence postérieurs (Commission de Venise, 12
décembre 2016: paras. 31 et 55). Le 21 juillet 2016, le gouvernement turc a notifié
également le Secrétariat General des Nations Unies sur les dérogations de ses certaines
obligations émanant de la Pacte International des Droits Civils et Politiques
40
.
que l'interdiction d'accès à Wikipédia violait la liberté d'expression et donc n'était pas conforme à l'article
26 de la Constitution turque (Cour Constitutionnelle, 26.12.2019: paras. 103-104).
37
Le rapport du "Reporters Sans Frontières" sur le classement mondial de la liberté de la presse en 2018
classait la Turquie au 157
e
rang sur 180 pays; en 2019 de nouveau au 157
e
rang sur 180 pays et en 2020
au 154
e
rang sur 180 pays (Reporters Sans Frontières, World Press Freedom Index). "Human Rights Watch"
estime que 119 journalistes sont emprisonnés avec l'accusation de terrorisme (Human Rights Watch, 2020).
38
"Troll" est un terme péjoratif utilisé pour décrire les personnes qui insultent, désinforment, attaquent sous
l'anonymat depuis leurs comptes sociaux. Ces personnes cachent leurs vraies identités, emploient des
pseudonymes et des fausses photos sur leurs comptes sociaux. Il est allégé qu'il y a une "armée de troll"
orientée selon les fin politiques et que les trolls sont payés d'une façon régulière (Yeniçağ, 05 mars 2019;
Doran, ABC News, 11 juin 2020).
39
Council of Europe. Declaration of State of Emergency in Turkey (English translation). [Consulté le:
19.06.2020]. Accessible sur
https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806
9538b
40
Les dérogations concernaient les articles 2, 3, 9, 10, 12, 13, 14, 17, 19, 21, 22, 25, 26 et 27. Voir, United
Nations. Turkey: Notification Under Article 4(3), Transmittal of the Secretary General (21 juillet 2016).
[Consulté le: 19.06.2020]. Accessible sur https://treaties.un.org/doc/Publication/CN/2016/CN.580.2016-
Eng.pdf
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4.2.1. Le Conseil de l'Europe
La Turquie est membre du Conseil de l'Europe depuis 1949 et un pays candidat à
l'adhésion à l'Union Européenne (UE) depuis 1999. Elle a reconnu le droit de recours
individuel à la CtEDH en 1987 et la juridiction obligatoire de cette dernière en 1990
41
. En
tant qu'un membre du Conseil de l'Europe qui a ratifié la CEDH et qu'un pays qui a
entamé les négociations d'adhésion avec l'UE en 2005, la Turquie devrait veiller aux
droits de l'homme et satisfaire les critères de Copenhague.
Les institutions européennes qui ont accueilli avec compréhension la déclaration d'état
d'urgence à la suite de la tentative de coup d'état ont exprimé leurs inquiétudes et
critiques face aux violations des droits de l'homme. Le Secrétaire General du Conseil de
l'Europe, M. Thorbjorn Jagland, a fait un appel aux autorités turques de faire une
distinction nette entre ceux qui ont essayé de réaliser le coup d'état et les autres
personnes qui ne sont pas impliquées dans cette affaire. Il a souligné que si les autorités
turques ne veillent pas à cette distinction, la Turquie peut être défiée devant la CtEDH
pour les violations des droits de l'homme (Council of Europe, 31 octobre 2016).
L'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe a exprimé aussi ses inquiétudes sur
les conséquences sociales des mesures mises en place dans le cadre de l'état d'urgence
et a souligné que les mesures étaient de caractère à entrainer la "mort civile" des
fonctionnaires expulsés. Elle a ajouque ces mesures auront des effets dramatiques à
long terme sur la société turque (PACE, 2017: Rés. 2156).
La Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les questions
constitutionnelles, à son tour a aussi appelé le gouvernement turc à respecter les droits
de l'homme (Commission de Venise, 12 décembre 2016: para. 155) et à s'abstenir de
faire des modifications constitutionnelles sous les conditions d'état d'urgence
(Commission de Venise, 13 mars 2017: para. 133). Par contre, le referendum
constitutionnel a été organisé en avril 2017 et a profondément nuit le principe de la
séparation des pouvoirs et la démocratie (OHCHR, 2018: paras. 35, 36 et 93).
Quant à l'organe judiciaire du Conseil de l'Europe, dans un peu de temps, la CtEDH a
reçu des milliers de recours des fonctionnaires expulsés dans la période d'état d'urgence.
Comme toutes les voies juridiques internes étaient inaccessibles pour les fonctionnaires
expulsés, le recours à la CtEDH était le seul moyen pour chercher la justice. L'arrivée
d'un grand nombre de recours, les difficultés pratiques et surtout politiques d'examiner
ces dossiers ont conduit les autorités du Conseil de l'Europe et de la CtEDH à négocier le
sujet avec les autorités turques.
Les responsables du Conseil de l'Europe et de la CtEDH ont conseillé au gouvernement
turc d'établir une commission ad hoc chargée d'examiner les dossiers d'expulsion et de
connaitre des voies de recours juridiques internes contre les décisions de ladite
Commission (Commission de Venise, 12 décembre 2016: paras. 221-222). A la suite des
négociations, le gouvernement turc a accepté d'établir une "Commission chargée
d'examiner les décisions prises sous ltat d'urgence" et de connaître "voie juridique
41
Ministère des Affaires Étrangères de Turquie. İnsan Hakları ve Avrupa Konseyi. [Consulté le: 26.04.2020].
Accessible sur https://www.mfa.gov.tr/insan-haklari-ve-avrupa-konseyi-tr.mfa
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interne" contre les décisions de la "Commission"
42
. Finalement, cette solution de
"Commission" n'a servi qu'à retarder
43
les recours à la CtEDH et a aidé implicitement la
prolongation des pratiques de l'état d'urgence et de leurs conséquences
44
.
4.2.2. L'Union Européenne
Les organes de l'UE et surtout le Parlement européenne (PE) étaient critiques face aux
pratiques de l'état d'urgence et à plusieurs reprises avaient demandé la levée de l'état
d'urgence (Parlement européen, 08 février 2018). Compte tenu des mesures
disproportionnées prévues par l'état d'urgence, le PE a demandé, en novembre 2016, à
la Commission et aux États membres de geler temporairement les négociations
d'adhésion en cours avec la Turquie (Parlement européen, Résolution 2018/2150 (INI):
Considérant D). En juillet 2017, le PE a invité de nouveau la Commission et les États
membres à suspendre formellement et sans délai les négociations d'adhésion avec la
Turquie si le train de réformes constitutionnelles était mis en œuvre sans modification et
s'il n y avait pas d'amélioration dans le domaine des droits de l'homme (Ibid.:
Considérant E).
Quand l'état d'urgence a été levé le 19 juillet 2018, le PE avait accueilli avec satisfaction
cette décision mais regrettait toutefois que la nouvelle législation introduite le 25 juillet
2018, plus précisément loi no. 7145, préservait de nombreux pouvoirs conférés à
l'exécutif en vertu de l'état d'urgence et permettait, en substance, que ce dernier se
poursuive, avec toutes les limitations que cela implique pour les libertés et les droits de
l'homme fondamentaux (Ibid.: para. 1).
Face à la continuation de la détérioration des droits de l'homme, le PE a voté, le 2 octobre
2018, pour l'annulation d'une aide de 70 million d'euros dans le cadre de l'IAP II
(instrument d'aide de préadhésion) alloués à la Turquie. La décision du PE était prise par
544 voix pour, 28 voix contre et 74 abstentions (Parlement européen, 02 octobre 2018).
D'autre part, comparé avec le PE, les réactions de la Commission étaient relativement
faibles et réticentes
45
. Dans ce cadre, la Cour des Comptes Européen dans un rapport
42
"La Commission chargée d'examiner les dossiers d'état d'urgence" a été établie le 23 janvier 2017 et a
commencé à fonctionner le 22 mai 2017. Il s'agit d'une seule Commission chargée d'examiner 125.678
(cent vingt-cinq mille six cent soixante-dix-huit) dossiers d'expulsions. Jusqu'à maintenant 98.300 dossiers
sont examinés par la Commission. 88.700 dossiers sur 98.300 (ça fait 90% des dossiers examinés) sont
rejetés. Voir, Commission chargée d'examiner les dossiers d'état d'urgence. [Consulté le: 14.03.2020].
Accessible sur https://ohalkomisyonu.tccb.gov.tr
Seulement deux tribunaux administratifs localisés à Ankara sont habilités pour examiner les décisions de la
Commission. Il est pratiquement impossible pour la Commission et les deux tribunaux administratifs
d'examiner plus de cent mille contentieux dans une durée raisonnable (Günday, 2017: 38).
43
La Commission rend ses décisions en moyenne dans une durée de 2 ans. Quant à deux tribunaux
administratifs, ils rendent aussi leurs décisions approximativement dans une durée de 2 ans. En cas d'une
décision négative du tribunal administratif, il faut recourir d'abord à la Tribunal d'Appel Administratif, ensuite
au Conseil d'État et ensuite à la Cour Constitutionnelle. Après cette dernière instance, la voie de recours à
la CtEDH s'ouvre. Le temps cessaire pour un fonctionnaire expulsé d'accéder à la CtEDH est donc, en
moyenne, 10 années (Arslan, BBC Türkçe, 13 juin 2017).
44
En fait, comme la nature juridique et le contenu des plaintes étaient largement semblables, la CtEDH pouvait
examiner les dossiers à partir d'un "cas pilot" et ainsi aider à accélérer la délivrance de la justice et à
atténuer les dommages subis. Il semble que, pour des raisons politiques, cette option n'a pas été préférée.
45
Cette approche de la Commission s'explique par la question brûlante des refugiées syriennes. La Turquie
héberge le nombre le plus élevé au monde de réfugiés et de migrants, soit plus de 4 millions de personnes,
dont 3,6 millions de réfugiés syriens. La Turquie continue de fournir des efforts louables en termes d'accueil,
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spécial a souligné que la conditionnalité prévue dans le cadre de l'IAP pouvait contribuer
à stimuler le processus de réforme en Turquie et a critiqué la Commission de ne pas avoir
fait suffisamment l'usage de la conditionnalité attachée à l'IAP. La Cour a constaté
également que la possibilité de suspendre les financements en cas de non-respect des
principes de la mocratie et de ltat de droit, qui existait pour l'IAP I, n'était pas
explicitement prévue dans les règlements régissant l'IAP II et a critiqué la Commission
pour cette lacune (Cour des Comptes Européenne, 2018: paras. 18, 29 et 62).
4.2.3. Les Nations Unies
Les canismes des droits de l'homme des Nations Unies ont régulièrement exprimé
leurs inquiétudes concernant les violations des droits de l'homme, à travers des
communications confidentielles, des rapports et des communiqués de presse (OHCHR,
2018: para. 20). Le Conseil des Droits de l'Homme et le Haut-Commissariat des Nations
Unies aux Droits de l'Homme ont exprimé leurs soucis sur la tenue du referendum
constitutionnel d'avril 2017 sous les conditions de l'état d'urgence et ont critiq la
concentration des pouvoirs dans la main de l'organe exécutif avec le referendum en
question (OHCHR, 2018: paras. 31, 35 et 36). Les experts de l'ONU, à leurs tours, ont
attiré l'attention aux pratiques de l'état d'urgence et aux violations des droits
fondamentaux. Ils ont également souligné que les modifications proposées par le
referendum constitutionnel pourraient avoir des conséquences graves sur les droits
économiques, sociaux et culturels (United Nations, 13 avril 2017).
5. Les conséquences de l'état d'urgence sur les Droits de l'Homme et la
démocratie
L'état d'urgence qui a duré pendant deux années avait résulavec la térioration des
libertés fondamentales et de l'État de droit en Turquie. Les expulsions massives des
fonctionnaires; l'interdiction de voyage à ltranger pour les fonctionnaires expulsés; le
recours à la détention arbitraire; la durée excessivement longue des détentions
provisoires et des procédures judiciaires; l'absence d'acte d'accusation dans plusieurs
affaires et la sévérité des conditions de détention; les allégations de mauvais traitements
et de torture de tenus; l'application à grande échelle de l'isolement cellulaire de longue
durée, ce qui équivaut à une seconde peine pour les détenus; le recours abusif à des
mesures antiterroristes pour gitimer la répression des droits de l'homme telles que
rapportées par plusieurs organisations de fense des droits de l'homme et par le bureau
du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, étaient parmi les
principales conséquences des pratiques de l'état d'urgence au niveau des individus
(OHCHR, 2018; Commission de Venise,13 Mars 2017; Parlement européen, Résolution
(2018/2150 (INI)).
Quant au niveau social, la brutalité des sanctions infligées, la faiblesse des individus et
des groupes face au pouvoir systémique et le mal fonctionnement des mécanismes
juridiques ont aidé à la généralisation d'une peur collective. Dans cette atmosphère de
de soutien et d'hébergement d'un nombre important de réfugiés et de migrants (Commission européenne,
COM (2019) 174: 3)
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crainte, souvent l'égoïsme se régnait. Ceux qui n'étaient pas touchés directement par les
mesures d'état d'urgence n'attachaient pas grande importance aux violations des droits
de l'homme. Malgré l'aggravation des droits et des libertés fondamentaux sous l'état
d'urgence, une bonne majorité des électeurs n'ont pas cherché à envoyer un
avertissement à l'autorité politique par leurs votes
46
. Cette situation paradoxale peut être
expliquée d'un part par l'échec de l'opposition et de l'autre part par l'indifférence d'une
certaine partie des électeurs aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.
Concernant le niveau systémique, l'autorité politique a considéré nécessaire, à la suite
de l'expérience de la tentative de coup d'état, de concentrer le pouvoir en son sein et de
limiter les marges de manœuvres de toutes sortes d'opposition. Dans cet objectif, sous
les conditions de l'état d'urgence, les modifications constitutionnelles ont été mises en
place par le referendum de 2017. Ces modifications constitutionnelles ont profondément
changé le système politique turc (OHCHR, 2018: paras. 32-33). Le régime parlementaire
a laissé sa place à un "régime présidentiel de type turc"
47
, dans lequel le pouvoir était
concentmassivement dans les mains du président. Par conséquent, l'équilibre rompu
entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire a eu des effets négatifs sur la nature
démocratique et pluraliste du système politique. Les termes de parti politique au pouvoir,
de gouvernement et d'État se sont confondus d'une telle manière que la moindre critique
à l'égard de l'autorité politique était perçue et montrée comme une attaque contre la
sainte existence de l'État.
En outre, la lutte interne entre les Islamistes, d'un coté l'AKP en tant que représentant
de l'Islamisme politique et de l'autre coté la communauté religieuse putschiste devenue
organisation terroriste, a perturbé les équilibres du système politique en Turquie et a
entrainé l'affaiblissement des institutions démocratiques et des droits de l'homme. Il est
confirmé encore une fois que le combat pour accaparer le pouvoir est souvent plus fort
que la proximi religieuse. En plus, les Islamistes politiques qui prônaient, quand ils
étaient dans l'opposition, les libertés fondamentales et les droits de l'homme, y compris
les libertés religieuses, se sont contredits
48
, avec leurs pratiques, lorsqu'ils étaient au
pouvoir.
Une autre particularité de cette période d'état d'urgence est l'utilisation extensive de la
technologie d'informatique dans les processus de violations des droits de l'homme
49
.
Dans ce sens, les listes comprenant les informations personnelles des fonctionnaires
expulsés étaient publiées sur le site internet du journal officiel. En plus, ces listes
digitalisées ont été communiquées au Ministère de l'Intérieur pour l'annulation des
passeports et aux autres institutions concernées, telles que l'Institution de la curité
Sociale, le Ministère de l'Education etc., pour la mise en place des autres sanctions
46
Pendant l'état d'urgence, l'AKP a remporté le referendum constitutionnel d'avril 2017 et les élections
générales de juin 2018.
47
Face aux critiques relatives à l'extrême concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne, les
supporteurs des modifications constitutionnelles ont prôné le nouveau système d'être un "système
présidentiel à la turque". Cette qualification cherchait à assurer plus de gitimité à ce nouveau système
aux yeux des électeurs nationalistes et des indécis.
48
La contradiction évoquée en haut entre les discours et les pratiques des Islamistes politiques a entrainé une
érosion dans les croyances religieuses, surtout chez les jeunes. (Diken, 16 mars 2019).
49
Pour plus d'information sur le fichage informatique et la technologie de surveillance voir, Sainati, Gilles
(2007). "De l'État de droit à l'État d'Urgence". La couverte «Mouvements». 2007/4 52: pp. 82-89.
[Consulté le: 03.04.2020]. Accessible sur https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-4-page-82.htm
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prévues. Voire, ces listes digitalisées ont été communiquées via des circulaires
confidentielles aux entreprises privées telles que les banques et les compagnies
d'assurance
50
(GazeteDuvar, 27 décembre 2019 et 31 décembre 2019). Les sanctions
infligées contre les fonctionnaires expulsés ne se limitaient donc pas seulement au
secteur public mais aussi s'étendaient au secteur privé. Donc, les moyens technologiques
faisaient presque impossible d'échapper les sanctions de l'autorité politique même dans
le secteur privé.
Conclusion
La déclaration d'état d'urgence ne suspend ni le droit ni l'État de droit. C'est une période
temporaire certains droits et libertés peuvent être limités, d'une manière raisonnée,
pour permettre de surmonter aisément une situation extraordinaire. Il ne s'agit en aucun
cas d'un régime arbitraire. Donc, même s'ils peuvent être limités dans la période de l'état
d'urgence, les droits de l'homme ne devraient pas être violés.
Dans le cas d'état d'urgence mis en place en Turquie, on observe que l'atmosphère
politique tendue après la tentative du coup d'état, la légitimité accrue du pouvoir politique
et l'argument fort de lutte contre le terrorisme ont "politiquement" facilité la mise en
place des mesures draconiennes ignorant les droits de l'homme.
Le changement de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle concernant les DLE, plus
précisément sa décision qui a rendu impossible d'examiner l'anti-constitutionnalité des
DLE des périodes d'état d'urgence, a donné un pouvoir et un confort immense à l'autorité
politique. Avec cette décision de la Cour Constitutionnelle, le pouvoir exécutif était
exempté de tout contrôle juridique dans ses actes mis en œuvre par les DLE, ce qui a
permis "juridiquement" la possibilité de négliger les droits de l'homme.
On observe la paralysie des acteurs internes face aux violations massives des droits de
l'homme: les juristes, les partis politiques, le média, la société civile, les citoyens
ordinaires, en bref toutes les composantes de la vie mocratique, se sont restés
largement insuffisants pour remplir leurs fonctions démocratiques et pour protéger les
droits fondamentaux. Pendant toute cette période, les valeurs démocratiques, les droits
de l'homme, les défendeurs des droits de l'homme étaient publiquement dévalorisés par
la classe dirigeante et par certains groups partageant les mêmes intérêts avec cette
classe
51
. Conséquemment, les droits de l'homme et les valeurs démocratiques ont
considérablement régressé sous l'état d'urgence, ce qui est devenu un moyen non
seulement pour lutter contre le terrorisme mais aussi pour intimider les opposants. Le
pouvoir politique était bien conscient que ses actes n'étaient pas conformes au droit et
aux droits de l'homme. Mais quand-même, grâce à l'impuissance et la division des partis
50
Certaines banques privées ont refusé d'ouvrir des comptes bancaires et de payer l'argent transféré aux ex-
fonctionnaires du fait qu'ils étaient expulsés par les DLE. Certaines compagnies d'assurance ont refusé de
payer une indemnité pour les accidents de voiture aux ex-fonctionnaires expulsés.
51
Les paroles du Ministre de l'Intérieur sont importantes pour comprendre la perception des droits de l'homme
au niveau politique: "nous combattons avec le terrorisme culturel…les soi-disant droits des femmes, les soi-
disant droits de l'homme, la soi-disant paix, le soi-disant environnement, écologie… Ce sont tous des voiles,
des masques. Qui utilisent ça? Les organisations terroristes…" Türmen, Rıza (Ancien juge turc auprès de la
CEDH) (09 mars 2020). "Özgürlükler Ülkesi Türkiye". T24. [Consulté le: 09.03.2020]. Accessible sur
https://t24.com.tr/yazarlar/riza-turmen/ozgurlukler-ulkesi-turkiye,25795
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d'opposition, il a préféré poursuivre cette approche contestable pour des raisons et des
fins politiques.
Les diverses autorités européennes et internationales ont régulièrement fait des appels
au gouvernement pour lever ltat d'urgence le plus vite possible et respecter les droits
de l'homme. Mais, l'autorité politique a préféré rester indifférent à ces appels et critiques.
Dans ce sens, la capacité d'influence des acteurs externes était particulièrement limitée.
L'expulsions massives des fonctionnaires publiques et plusieurs d'autres actes mis en
place par les DLE étaient en plein contradiction avec la CEDH. Bien que toutes les voies
juridiques internes étaient ineffectives, la CtEDH a préféré, pour des raisons politiques,
ne pas examiner les recours des fonctionnaires expulsés. Le Conseil de l'Europe a
conseillé des méthodes alternatives, tel que l'établissement d'une commission nationale
pour examiner les dossiers d'expulsions. En fait, cette approche du Conseil de l'Europe
et de la CtEDH a davantage encourala classe dirigeante pour prolonger l'état d'urgence
et ses pratiques.
Finalement, il faut souligner que toute campagne de lutte contre le terrorisme doit être
menée dans le plein respect des droits de l'homme et de l'État de droit, deux éléments
indispensables à son succès sur le long terme. Le respect de l'État de droit n'enlève rien,
mais au contraire rajoute, à l'efficacité des efforts de lutte contre le terrorisme. Pour le
bon fonctionnement du système démocratique, il est crucial de préserver un juste
équilibre entre les mesures de sécurité, lesquelles sont par nature restrictives, et la
protection des droits fondamentaux (Conseil de l'Europe, CODEXTER, 2013: 1).
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Vol. 12, Nº. 1 (Mai-Octobre 2021), pp. 218-246
Les pratiques de l’état d’urgence et les droits de l’Homme: le cas d’expulsions massives des
fonctionnaires publiques en Turquie
Ömer Bedir
246
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Türmen, Rıza (09 mars 2020). "Özgürlükler Ülkesi Türkiye". T24. [Consulté le:
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95ini-kontrol-ediyor-225690h.htm