OBSERVARE

Universidade Autónoma de Lisboa

ISSN: 1647-7251

Vol. 3, n.º 1 (Printemps 2012), pp. 79-96

LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE: LA CONTROVERSE CONSTRUCTION HISTORIQUE D'UNE MORALE UNIVERSELLE

Soraya Nour Sckell

sorayanour@yahoo.com

Soraya Nour Sckell est chercheuse rattachée au Sophiapol, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, et à l'Observare, Universidade Autónoma de Lisboa. Elle a mené de recherches aux Universités de Saint Louis (SLU), Nanterre, Francfort sur-le-Main et Berlin (HU) et a enseigné aux Universités de São Paulo, Munich, Metz et Lille ainsi qu’au Collège International de Philosophie de Paris. Lauréate du Prix de l’Amitié Franco-Allemande et Vice-Présidente de l’Association Humboldt France. Ses recherches portent sur la philosophie du droit international, les relations internationales et le mouvement pacifiste. Auteur de À Paz Perpétua de Kant. Filosofia do Direito Internacional e das Relações Internacionais (São Paulo, 2004). Direction d’ouvrages

collectifs: The Minority Issue. Law and the Crisis of Representation (Berlin 2009); (avec Christian Lazzeri) Reconnaissance, identité et intégration sociale (Nanterre 2009); (avec Olivier Remaud) War and Peace. The role of science and art (Berlin 2010); (avec Damien Ehrhardt) La Fascination de la Planète. L’éthique de la diversité (Berlin, 2012); (avec Damien Ehrhardt) Interculturalité et Transfert (Berlin 2012).

Résumé

Le droit humanitaire fut conçu par le normativisme juridique et moral fondé sur des principes universels. En dépit de son indéniable contenu moral universel, ses formulations et ses modes d’application sont cependant le résultat de conflits historiques. Cet article vise à analyser la façon dont le caractère universel du droit humanitaire est produit par des conflits hautement controversés. Il est nécessaire de surmonter l’antagonisme entre une analyse qui met l’accent sur la valeur morale indéniable du droit humanitaire en ignorant ses controverses et une analyse qui met l’accent sur les antagonismes sociaux mettant en question la possibilité de réalisation de la valeur morale et universelle du droit humanitaire. Pour cela, il faut considérer que celui-ci est une construction. Il apparaît comme autonome, comme indépendant des rapports de forces, fondé sur la rationalité de la morale et ainsi bien digne de la reconnaissance universelle, et pourtant, son développement n’est possible que lorsque l’on prend en compte les racines historiques de la raison. C’est seulement par la lutte politique que la rationalité universelle du droit humanitaire se réalise dans l’histoire.

Tout d’abord, il s’agit d’analyser le caractère universel mais en même temps hautement controversé de la codification du droit humanitaire rappelant les controverses autour de la création des Protocoles additionnels de 1977 (Section 1). Ensuite, il s’agit d’analyser le caractère conflictuel des organisations de soutien du droit humanitaire en prenant en compte les conflits entre la Croix-Rouge et les Médecins Sans Frontières, ainsi que les controverses autour des ambitions de passer d’un droit humanitaire à un droit d’intervention humanitaire (Section 2). Enfin, il s’agit de réfléchir sur la façon dont les théories des relations internationales les plus appropriées pour saisir la nature universelle du droit humanitaire international doivent être complétées par une «sociologie historique de l’universel» qui embrasse la dimension conflictuelle dans la construction historique de l’universel (Section 3).

Mots-Clés:

Droit Humanitaire; Droit de la Guerre; Conventions de Genève; Croix Rouge; Médecins sans Frontières

Comment citer cet article

Sckell, Soraya Nour (2012). "Le Droit International Humanitaire: la controverse construction historique d’une morale universelle”. JANUS.NET e-journal of International Relations, Vol. 3, N.º 1, Printemps 2012. Page consulté [en ligne] à la data de la dernière visite, observare.ual.pt/janus.net/pt_vol3_n1_art4

Manuscrit reçu en Mars 2012 et accepté pour publication dans Avril 2012

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Le Droit International Humanitaire: la controverse construction historique d'une morale universelle Soraya Nour Sckell

LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE: LA CONTROVERSE CONSTRUCTION HISTORIQUE D'UNE MORALE UNIVERSELLE

Soraya Nour Sckell1

Introduction

Le droit humanitaire, autrefois jus in bellum (droit de la guerre), le droit du champ de bataille, étendu par la suite à tous les genres de situations catastrophiques non militaires, connaît une grande vogue depuis les années 90: ses significations se sont multipliées, une «polysémie inquiétante» (Chemillier-Gendreau, 2002: 79), qui a donné origine au substantif «humanitaire», mais qui a aussi justifié l’idée d’un «devoir d’ingérence». Comme Laidi analyse, en face de l’absence d’un ennemi préalable, c’est la logique d’une situation appelant à un engagement qui fait surgir «l’humanitaire» (Laidi, 2001: 186), dans un procès qui l’autonomise de plus en plus de la politique. La vogue de l’humanitaire s’explique ainsi par une stratégie sans hauts coûts politiques (perte en vies humaines), économiques (transfert de ressources) ou sociaux (migration); l’humanitaire remplit les exigences de disposer d’une légitimation irrécusable (sauver des vies), d’être limité dans le temps (avant les doutes de l’opinion publique) et d’offrir une esquive de solutions de fond qui mettraient en cause des responsabilités passées ou qui demanderaient de massives ressources économiques ou militaires. Lors du conflit au Kurdistan, l’intervention humanitaire servait à une politique objective de protéger les kurdes, de garantir l’autonomie du Kurdistan et d’éviter que des réfugiés kurdes déstabilisent la Turquie; en Yougoslavie, par contre, son rôle privilégié s’expliquait surtout par l’absence de quête d’une solution politique pour le conflit; et en Somalie (où des organismes humanitaires sont intervenus pour soigner les victimes de la «guerre humanitaire» conduite par l’ONU), il fut quand même attendu que l’humanitaire donne lieu à une politique de réconciliation (Laidi, 2001: 168-170). Le scepticisme que toutes ces difficultés constitutives du droit humanitaire ont géré donne cependant aussi l’occasion de repenser les cadres dans lesquels il peut encore avoir un sens. Cela demande d’associer ces fondements théoriques essentiellement «morals» à une conception «politique» du droit humanitaire, qui explicite qu’en dépit de consacrer des valeurs universelles, conçues comme produits d’une «raison universelle» ou d’un «consensus», ses formulations et sa mise en œuvre sont aussi le résultat d’un «compromis» politique et juridique très conflictuel.

Cet article vise à analyser la façon dont le caractère universel du droit humanitaire est produit par des conflits hautement controversés. Tout d’abord, il s’agit d’analyser le caractère universel mais en même temps hautement controversé de la codification du droit humanitaire rappelant les controverses autour de la création des Protocoles additionnels de 1977 (section 1). Ensuite, il s’agit d’analyser le caractère conflictuel des

1Je remercie à Jacques R. Prgomet pour la soigneuse relecture et correction du français. 80

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organisations de soutien du droit humanitaire en prenant en compte les conflits entre la Croix-Rouge et les Médecins Sans Frontières, ainsi que les controverses autour des ambitions de passer d’un droit humanitaire à un droit d’intervention humanitaire (Section 2). Enfin, il s’agit de réfléchir sur la façon dont les théories des relations internationales les plus appropriées pour saisir la nature universelle du droit humanitaire international doivent être complétées par une «sociologie historique de l’universel» qui embrasse la dimension conflictuelle dans la construction historique de l’universel (Section 3).

1)Les controverses politiques dans la codification d’un Droit Humanitaire universel

Des règles ancêtres du droit humanitaire sont rencontrées dans toutes les cultures: dans l’Inde ancienne, chez les traditions africaines coutumières, grecques, romaines, perses, sumériens, hittites, chez le Code de Hammourabi, les grandes œuvres littéraires (Mahabharata), religieuses (la Bible et le Coran), les règles de l’art de la guerre (les lois de Manu et le Bushido japonais) et les règles de chevalerie du Moyen Âge. Si la réflexion éthique sur l’humanité même de l’ennemi remonte aux temps anciens des différentes traditions culturelles, c’est dans l’Aufklärung que nous trouvons sa formulation juridique moderne. Jean Jacques Rousseau consacre la différence entre combattant et non-combattant: «La guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens, mais comme soldats, non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs…». (Rousseau, 1962: 240-241). Kant critique le fondement du traditionnel «droit à la guerre» (jus ad bellum), le droit qu’un État prétend avoir d’utiliser la vie et les choses de ses citoyens ou de les mettre en péril pour faire la guerre. Cela signifie le droit de faire ce qu’on veut des propriétés – ce qui peut valoir pour des choses, mais non pas pour des êtres humains, qui ne sont pas «des poulets», «des porcs», «des vaches» ou «des pommes», qu’on peut consommer, mais «des personnes» (Kant, 1797: 344-345). Cette critique de Kant au droit à la guerre, auquel se lie la distinction entre «guerre juste» et «guerre injuste», qui justifiait les agressions à l’époque moderne, représente une de ses attaques au droit des gens classique des plus relevant. Celui-ci entend par «droit à la guerre» le moyen permis à un État qui a souffert une violation effective (première agression) de défendre son droit. Pour Kant, ce droit signifie qu’il est «juste» que les êtres humains «s’exterminent mutuellement, retrouvant ainsi la paix perpétuelle dans la vaste tombe qui recouvre toutes les horreurs de la violence aussi bien que ses auteurs» (Kant, 1795: 143). Ensuite, Kant établit les principes du «droit de la guerre» (jus in bellum, qui allait s’appeler plus tard le droit humanitaire) - en dépit d’être une contradiction, puisque la guerre est l’état de la plus complète absence du droit: «le droit dans la guerre est justement celui du droit des gens qui présente la plus grande difficulté de faire de lui quand même un concept, et penser une loi dans cet état sans loi (inter arma silent leges - entre armes, les lois se taisent)». Sous ce titre il condamne des procédures de guerre inhumaines et d’autres pratiques inadmissibles, d’après l’idée que même la situation extrême de la guerre exige l’observation de certaines règles de droit (Kant, 1797: 347).

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C’est dans ce cadre de réflexions qui inspire le mouvement pacifiste ainsi que l’idéalisme utopique que le droit humanitaire est codifié. Jusqu’au Moyen Âge, les belligérants pouvaient selon l’éthique et le droit tuer leurs ennemis, soient-ils combattants ou non. Grotius justifie plusieurs actes de violence commis contre les ennemis, même sur les captifs et sur ceux qui veulent se rendre (Grotius, 1999 ; Morgenthau, 1978: 242). La guerre ne subissait pas de restrictions morales significatives parce qu’elle était considérée comme un conflit entre les habitants d’un territoire, et non entre ses forces armés, ce qui rendait tous les citoyens de l’État ennemi en ennemis.

Ce n’est que depuis la fin de la Guerre de Trente Ans que prévaut la conception que la guerre ne soit pas entre des populations, mais entre les forces armées des États belligérants (Morgenthau, 1978: 241). La distinction entre combattant et non- combattant dévient un principe fondamental éthique et légal; seulement ceux qui peuvent et veulent participer activement au combat peuvent être objet de l’action armée - malades, blessés, prisonniers ou ceux qui veulent se rendre ne peuvent pas être attaqués ; ne pas attaquer, blesser ou tuer un non-combattant devient un devoir légal et moral (Morgenthau, 1978: 242). Cette tendance à l’humanisation de la guerre, introduite au XVIe siècle, culmine dans les traités multilatéraux du XIXe et XXe siècle. Entre 1581 et 1864, 291 traités internationaux sont conclus afin de protéger la vie des blessés et des malades de guerre.

En 1863, Abraham Lincoln approuve les «Instructions de Lieber», écrites par le juriste Francis Lieber, un code d’instructions de comportement applicables aux armées des États-Unis en campagne, pouvant être considérées comme représentatives des règles de la guerre à l’époque. Dans cette même année a lieu l’événement décisif pour le droit humanitaire: la fondation de la Croix-Rouge, qui symbolise la réalisation institutionnelle de ces convictions morales (Morgenthau, 1978: 242).

Henry Dunant, un homme d’affaires suisse, arrive dans la soirée du 24 Juin 1859 au bourg italien Castiglione delle Stiviere, dans le nord de l’Italie d’aujourd’hui. Dans les environs venait d’avoir lieu dans le cadre de la guerre Franco-Autrichienne la bataille de Solferino, laissant derrière elle environ 6.000 morts et 40.000 blessés. Le lendemain, Dunant se rend à Solferino, y trouvant les milliers de blessés laissés sur le champ de bataille sans soins médicaux. La France et l’Empire Austro-Hongrois avait fourni plus de vétérinaires pour soigner les chevaux que des médecins pour traiter leurs blessés. Dunant organise alors le secours aux blessés des deux côtés, avec l’aide de personnes du lieu, principalement des femmes, qui répètent le motto «tutti fratelli». Profondément affecté par l’horreur de la guerre et le destin tragique des blessés, de retour à Genève Dunant commence une campagne pour organiser des bénévoles à traiter les blessés de guerre. Il décrit de façon très vive ce qu’il a vécu dans le manuscrit Un Souvenir de Solférino (1862), distribué dans toute l’Europe et qui attire beaucoup d’attention et de sympathisants pour ses idées. Cela amène en 1863 a la création de la Commission Internationale de la Croix-Rouge, la source des conventions humanitaires sur la protection des blessés de guerre, des prisonniers et des populations civiles décisives pour la constitution du droit humanitaire jusqu’à nos jours.

La convention de Genève de 1864, suivie par celles de 1906, 1929 et 1949, impose le devoir légal, concret et détaillé des convictions morales par rapport au traitement des blessés, malades et médecins à leur charge pendant la guerre (Morgenthau, 1978: 242). Et si les prisonniers de guerre n’étaient plus morts au XVIIIe siècle, mais encore

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traités comme des criminels, l’article 24 du Traité de l’Amitié conclu en 1785 entre les États Unis et la Prusse indique un changement dans les convictions morales en la matière, ce qui va conduire à la création d´un système détaillé des règles légales dans les conventions de La Haie de 1899 et 1907, ainsi que de celles de Genève de 1929 et de 1949. Les traités conclus dès la moitié du XIXe siècle reflètent ces mêmes soucis sur la vie et la souffrance, afin d’humaniser la guerre, défendant ou limitant l’utilisation de certaines armes. La Déclaration de Paris de 1856 limite la guerre maritime, la Déclaration de St. Petersburg de 1868 prohibe l’usage de projectiles avec substances explosives ou inflammables, plusieurs conventions internationales prohibent le gaz, les armes chimiques et bactériologiques; les conventions de La Haie de 1899 et de 1907 codifient les lois de guerre sur terre et sur mer, les droits et les devoirs des personnes neutres; le Protocole de Londres de 1936 limite l’usage de sous-marins et, depuis la deuxième guerre mondiale, des efforts considérables sont exercés pour limiter l’utilisation d’armement nucléaire (Morgenthau, 1978: 243).

Aujourd’hui, les traités les plus importants concernant le droit humanitaire peuvent être regroupé s sous cinq thèmes principaux:

1)La protection des victimes des conflits armés: les Conventions de Genève I-IV (1949) avec leurs Protocoles additionnels I, II (1977) et III (2005), la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) et son Protocole (2000);

2)La Cour pénale internationale: Statut de Rome (1998);

3)La protection des biens culturels dans les conflits armés: Convention de La Haye (1954) avec ses Protocoles I (1954) e II (1999);

4)Environnement: Convention de New York (1976);

5)Armes: Protocole de Genève sur des gaz asphyxiants, toxiques ou d’autres

(1972); Convention de Londres, Moscou et Washington sur les armes biologiques et toxiques (1972); Convention de Genève sur les armes classiques (1980) avec ses Protocoles I-III (1980), IV (1995), IIa (1996), V (2003) et Amendement (2001); Convention de Paris sur les armes chimiques (1993), Convention d’Oslo sur les mines anti personnelles (1997), la Convention sur les munitions en grappe (2008).

Cette codification qui consacre l’existence une morale internationale a été cependant marquée par une profonde conflictualité, qui peut être facilement dégagée dans les Protocoles Additionnels de 1977 à la Convention de Genève, le premier versant sur les conflits armés internationaux, le deuxième sur les guerres civiles. Ces protocoles essaient de réguler la nouvelle génération de conflits, plutôt internes qu’internationaux, et conduits plutôt par des méthodes irrégulières de guérillas que par des batailles régulières entre forces armées uniformes (Greenwood, 1999: 3), afin de reconnaître la lutte armée contre les puissances coloniales, même si le conflit n’est pas entre États. Le lobby des États du Tiers Monde voulait, allant au-delà des propositions initiales de la Commission Internationale de la Croix Rouge, amplifier le statut de combattant, incluant aussi les membres d’une guérilla, afin qu’ils soient aussi traités comme prisonniers de guerre dans le cas de capture. Ce groupe a eu plusieurs victoires, comme le controverse Article 1 (4), selon lequel «les conflits armés dans lesquels on lutte contre une domination coloniale et une occupation étrangère et contre des

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régimes racistes dans l’exercice de leur droit d’autodétermination » doivent être caractérisés comme conflits internationaux, sur lequel tout le droit humanitaire, et pas les provisions sur les conflits internes, doit être appliqué (Greenwood, 1999: 6). Le Protocole Additionnel I, à cause de cela, observe Greenwood, «est le seul accord de droit humanitaire décrit par un membre du gouvernement américain de l’époque comme ‘loi au service de la terreur’» (Greenwood, 1999: 4. Voir Feith, 1985 et Solf, 1986). Selon les observations des représentants de la délégation allemande, «le clivage central divisant la Conférence n’était pas l’antagonisme entre les grand blocs militaires de l’est et de l’ouest, mais l’opposition entre le Tiers Monde et les deux premiers - entre le Nord et le Sud (Bothe et al, 1982: 7-8)… Cela est d’abord devenu apparent dans la question de la participation de mouvements de libération dans la Conférence et la question si les guerres de libération nationale devaient être classifiées comme conflits armés… La difficulté suivante était le statut des guerres de libération nationale. Ce qui est maintenant l’article 1, paragraphe 4 a été adopté par un vote hautement controversé…» (Bothe et al, 1982: 9).

Le conflit Nord-Sud déterminait ainsi les négociations sur le statut du combattant, les méthodes et les moyens de combatte, la prohibition et les limitations d’armements et la protection de la population civile, marquées par ce que Greenwood appelle le «syndrome du Vietnam», paradigme d’un conflit entre un pays industrialisé et un non- industrialisé. La tendance était d’accepter les tactiques de Guérilla du Viêt-Cong et du Vietnam du Nord, et de refuser les pratiques des États Unis et de leurs alliés, selon deux concepts militaires: «le pouvoir de l’homme» et «le pouvoir des armes». Ce conflit était accompagné par la controverse entre les «réalistes», attachés plus au «pouvoir des armes», et les «idéalistes», attachés plus au «pouvoir de l’homme», et qui ont eu plus de force dans les votes et plus d’impact dans les solutions finales, qui sont ainsi appropriées aux conflits asymétriques, mais non aux conflits entre pays développés avec densité de populations (Bothe et al, 1982: 9-10).

2) Le conflit dans les organisations humanitaires internationales

Le droit humanitaire, tel qu’il s’est développé et légalisé, acquiert cependant un contenu qui est interprété aussi bien par ses tenants que par ses opposants comme surtout moral et caritatif. Jean Pictet, directeur général de la Croix-Rouge dans les années 50, et qui formule les références théoriques principales pour le droit humanitaire dans les années suivantes, établit la distinction : «Juger, c’est séparer… les justes des injustes; c’est mesurer la responsabilité individuelle. Or, la charité n’a que faire de cette justice-là. Elle se refuse à calculer le mérite ou la faute de chacun. Elle va beaucoup plus loin; … elle est alors l’image même de la miséricorde, de la bonté sans limite (Pictet, 1966: 19)… L’humanisme préfèrera donc des solutions dictées par la compassion à celles d’une justice imparfaite, derrière laquelle se dissimule - mal - la vengeance. En temps de guerre, où le juste et l’injuste deviennent presque indiscernables et où les normes morales sont bousculées, il est pratiquement impossible d’être équitable. Si l’on veut agir pour le bien de son prochain et améliorer le sort moyen des individus, il faut se laisser guider par la générosité spontanée» (Pictet, 1966: 20). Et encore «… la justice, à son degré suprême, finit par rejoindre la charité. Mais tant qu’elle n’aura pas atteint son sommet, il y aura toujours place, à côté d’elle, pour la charité. Car celle-ci est génératrice d’initiative, de

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spontanéité; elle apporte, dans les relations sociales, un élément humain que la loi, impersonnelle et abstraite, ne connaît pas» (Pictet, 1966: 22). Il cite Lao-Tseu : «Avec celui qui est bon, je suis bon; avec celui qui n’est pas bon, je suis bon» (Pictet, 1966: 19); il cite aussi Lossier: Si «la justice c’est respecter les êtres, l’amour c’est aller vers eux» (Pictet, 1966: 22).

Cette doctrine de la Croix Rouge a signifié dans la Deuxième Guerre Mondiale son silence sur les champs d’extermination, selon sa conviction que l’impartialité est condition de soigner toutes les victimes. Le Comité International de la Croix Rouge (CICR), au dépit de cogiter en 1942 sur la nécessité de rendre publiques les informations qu’ils avaient sur la politique d’extermination, décident de garder le silence. La Croix Rouge devient complice par omission - faute qu’elle ne reconnaîtra que beaucoup plus tard, sous la pression des médias suisses. En 1969, Bernard Kouchner et d’autres médecins, en mission à Biafra pour le Comité International de la Croix Rouge, décident de rompre leur engagement au silence et de faire le témoignage, la dénonciation politique, créant une nouvelle organisation, les Médecins sans Frontières.

Si les Médecins sans Frontières ont représenté une correction significative dans la doctrine du silence de la Croix Rouge en transformant les humanitaires en témoins et dénonciateurs des atrocités, il se révèle bien vite que l’analyse politique d’une tragédie n’est pas si évidente. A Biafra, il ne s’agissait pas, comme on leur a fait croire, d’un génocide organisé par le gouvernement du Nigeria; la population affamée était otage des militaires qui conduisaient la sécession, qui la présentait comme victime de l’ennemi. Sans connaissance des enjeux politiques de la catastrophe qu’ils voulaient soulager, les humanitaires avaient soutenu les criminels.

Les deux organisations fonctionnent ainsi avec des orientations différentes mais complémentaires: tandis qu’une fait la dénonciation en cherchant à mobiliser l’opinion publique mais en perdant parfois l’autorisation d’agir dans le territoire de l’État qu’elle dénonce, l’autre se tait , mais se garantit ainsi l’accès aux malades et blessés refusé à la première.

2.1) Du Droit Humanitaire à l’Intervention Humanitaire

L’aspect qui s’est révélé le plus problématique de cette doctrine est que les Médecins sans Frontières ont compris par politique l’humanitaire d’État, appelant à l’action militaire. Au dépit de n’avoir aucun «droit» d’intervention humanitaire dans la Charte de l’ONU ou dans le droit international coutumier, des mandats autorisant l’utilisation de la force unilatérale, en tant qu’actes arbitraires du Conseil de Sécurité de l’ONU, se sont appuyés sur cette doctrine.

Pourtant, la logique humanitaire est complètement distincte d’un projet militaire, qui fait le choix entre ceux qui doivent vivre et ceux qui doivent mourir, assumant que le sacrifice de quelques-uns est justifiable par une «paix durable» (Weissman, 2004: 62). Beaucoup d’humanitaires se sont convaincus que la vulnérabilité de la doctrine humanitaire venait surtout de l’utilisation du langage moral universel, de la certitude que toutes les personnes de bonne volonté peuvent arriver à un consensus sur ses règles, indépendamment de leurs convictions politiques ou religieuses, parce que dans la morale minimale il n’y a pas de grandes divergences, constituant ainsi une opinion

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internationale unanime capable de transformer le monde (Milner, 2004: 53). C’est sans doute une situation désirable d’un point de vue normatif, mais qui ne fournit pas d’outils pour analyser les enjeux politiques des catastrophes contemporaines.

C’est justement cette idée que Habermas, dans les années 90, développe avec une reconstruction du droit cosmopolite de Kant afin de légitimer une politique globale de réalisation des Droits de l’Homme et qu’il présente à partir d’une confrontation avec Carl Schmitt2. Pour Kant, les trois niveaux d’organisation juridique - l’État, le droit international et le droit cosmopolite - doivent être maintenus simultanément, et l’idée d’un État mondial est refusé comme un «despotisme sans âme», mais plusieurs reconstructions kantiennes argumentent que les difficultés historiques qui ont conditionné la pensée de Kant ont déjà été dépassées. Pour ces reconstructions, un droit cosmopolite dans le sens d’un droit mondial doit remplacer le droit international, permettant l’utilisation de la force au nom de l’humanité.

Habermas (Habermas, 1996) considère trois dimensions du droit: le droit interne de chaque pays, le droit international - celui des relations des États entre eux - et le droit cosmopolite dans le sens kantien, qui prend chaque citoyen non comme citoyen de son État, mais du monde. Sa préoccupation est que la distance du cadre historique et conceptuel dont Kant a formulé le concept nous oblige à le reformuler. L’idée kantienne d’un droit cosmopolite, selon lui, oriente aujourd’hui une politique qui essaye de faire triompher les droits des hommes universellement, et dont l’instrument principal est l’intervention humanitaire: «le point faible d’une protection globale des droits de l’homme est l’absence d’une force exécutive qui serait, en cas de nécessité, capable d’assurer le respect de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en intervenant dans la souveraineté des États membres». Ainsi, conclut Habermas, la prohibition de l’intervention doit être revue: «À l’exception de quand, comme dans le cas de la Somalie, il n’y a aucun pouvoir d’État susceptible d’être exercé, l’organisation mondiale ne fait ses interventions (comme dans le cas du Liberia et de la Croatie-Bosnie) qu’avec l’accord des gouvernements impliqués. Avec la résolution 688 d’avril 1991, un nouveau chemin dans la guerre du Golfe est ouvert, au moins dans les faits, si non en ce qui concerne la justification juridique de son intervention. À cette époque, les Nations Unies invoquaient le droit d’intervention qui les concernait en raison du chapitre VII de la Charte, en cas des ‘menaces contre la sécurité internationale’; dans ce sens, elle n’est pas intervenue, encore une fois, dans les ‘affaires internes d’un pays souverain’. Mais les alliés savaient très bien que c’était cela qu’ils faisaient (…), afin de créer des ’zones de protection’ (…) destinées aux réfugiés kurdes et ainsi protéger les membres d’une certaine minorité nationale contre son propre État». Habermas est à ce moment sûr de que les interventions ont pour but la démocratisation de l’ordre interne, condition d’une «économie durable, de rapports sociaux supportables, d’une participation démocratique égalitaire, de l’État de droit et d’une culture de la tolérance».

2Hans J. Morgenthau, au contraire de Carl Schmitt - auquel Morgenthau se réfère comme «l’homme le plus diabolique que je n’aie jamais rencontré» (Frei, 1993: 170) - défendait avant la guerre la conception d’un droit international qui puisse contrôler la volonté de puissance des nations; mais il a vu que quand l’Allemagne s’est décidée à exterminer ceux qu’elle considérait comme ses ennemis, aucun droit international n’a rien pu faire pour la contrôler. A Francfort, Morgenthau a fréquenté le «château rouge», l’Institut für Sozialforschung, mais ne s’est pas contenté que ces jeunes gens intelligents (Adorno et Horkheimer), les seuls qui pouvaient s’opposer à l’ascension du nazisme, se rencontraient pour discuter comment on interprète tel ou tel autre phrase de Marx (Frei, 1993: 170; Wolin, 2001: 55).

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Un débat académique naît au sein des journaux lorsque l’OTAN attaque le Kosovo. Habermas note alors dans le journal Die Zeit, se référant à la quasi-disparition de la rhétorique de la raison d’État encore évoquée dans la guerre du Golfe, que «heureusement les tons obscurs sont absents de l’espace public allemand (…). Partisans et adversaires de l’attaque [de l’OTAN] se servent d’un langage normatif cristallin» (Habermas, 1999: 1). Reinhardt Brandt, dans un article publié dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, intitulé «L’ennemi injuste: ce que Kant aurait dit au sujet de la guerre au Kosovo», se demande: «Comment juger du bien-fondé des attaques de l’OTAN contre la Serbie? Quel philosophe peut être mis dans le sac des pilotes? Il faut retourner deux cents ans en arrière pour entrer de nouveau dans le monde conceptuel qui est maintenant revendiqué par les dirigeants politiques de l’OTAN». Hegel, rappelle l’auteur, s’est concentré sur l’État germanique singulier, Marx et Nietzsche se sont éloignés des idées juridiques. Kant reste ainsi l’auteur classique le plus moderne pour penser à un ordre mondial pacifique et légal. Une note du Frankfurter Allgemeine Zeitung jointe à cet article avertit ses lecteurs que «l’écrit de Kant, La paix perpétuelle, est aujourd’hui un texte clé pour évaluer une politique universelle des droits humains. La question actuelle de la conciliation du principe juridique du non-interventionnisme avec le principe de l’intervention humanitaire a été traitée dans ses fondements en 1795» (Brandt, 1999: 11).

Habermas, toutefois, fait une exception à l’exigence qu’il avait formulée quatre ans auparavant, selon laquelle les violations des droits humains doivent être poursuivies légalement. Face à un Conseil de sécurité bloqué, l’intervention de l’OTAN au Kosovo pourrait être basée sur le principe de l’aide nécessaire du droit international, même sans mandat de l’ONU, puisque les droits humains ont un contenu moral, partageant ainsi avec les normes morales une prétention à la validité universelle (Habermas, 1999: 1; Anderson-Gold, 1998: 103-111). En contestant cette conception du droit humanitaire, le juriste Marcelo Neves argumente que «conformément à cette conception du caractère moral des interventions humanitaires menées unilatéralement par les grandes puissances occidentales, l’idée de Habermas n’engendre pas exactement une politique intérieure mondiale pour la réalisation des droits humains, mais une politique externe occidentale de contrôle de la politique des droits de l’homme. Et dans ce cas, les décisions d’attaque et leurs applications, sélectives et arbitraires, ne se produisent pas sous le contrôle de procédures selon le modèle de l’État de droit et démocratique» (Neves, 2000: 207). Parmi les réactions critiques à Habermas, formulées d’une perspective kantienne, Reinhard Merkel soutient deux semaines plus tard, également dans Die Zeit, que tout acte international a besoin du mandat d’une entité juridique reconnue par la communauté internationale; que la guerre sans mandat détruit les conditions de juridictionnalisation des relations internationales et constitue une menace pour l’avenir de l’ordre international en tant qu’ordre juridique – et non pour le précaire équilibre des puissance auto-légitimées, note-t-il en expliquant qu’il n’argumente pas en termes réalistes (Merkel, 1999: 10). Dans le même sens, Reinhardt Brandt remarque, compte tenu de l’absence d’un mandat des Nations Unies pour l’action de l’OTAN, que «Kant (…) aurait vu dans l’affaiblissement d’un forum international certainement une lésion extrêmement grave pour le droit» (Merkel, 1999: 10). Quatre ans plus tard, Habermas s’oppose à la guerre de l’Irak de 2003 et à la politique étrangère américaine, appelant l’Europe à redéfinir sa «politique étrangère». Habermas soutient l’identification de la politique étrangère européenne à «une espérance kantienne d’une politique mondiale intérieure», en

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reléguant au Sud le rôle de suivre le «modèle européen» (Habermas et Jacques Derrida, 2003). Or la difficulté dans l’argument que l’Europe doit constituer un contrepoids aux États-Unis est de réintroduire dans le «cristalline langage normative» qu’il a autrefois salué le modèle de balance de pouvoir du réalisme que le normativisme prétendait combattre si décisivement.

Il y a lieu à un déplacement de la politique au droit (pour légitimer l’action politique), du droit à la morale (quand le droit, dans une impasse, ne peut plus légitimer), et de la morale au pouvoir (quand la morale n’aide plus à comprendre «ce qui se passe»). Fichte est l’emblème d’un tel itinéraire, comme Domenico Losurdo analyse. Inspiré par Kant, Fichte refuse d’abord la théorie selon laquelle la paix puisse être réalisée par l’équilibre des pouvoirs, qui ne sert qu’à justifier de nouvelles agressions et guerres: la paix ne peut pas résulter d’un compromis entre les dominants, mais d’un droit international qui règne sur eux, une Société des Nations, dont le centre propulseur serait la France révolutionnaire (Fichte, 1971: 90-96; Losurdo, 1991: 74-105). Il ne commence à se douter que la France puisse être le centre d’une telle fédération qu’après la défaite de la Prusse et le triomphe de l’Empire de Napoléon, quand il lui semble que l’enthousiasme pour la Révolution Française et l’idéal de paix perpétuelle empêchait de voir clairement les rapports de force. Et c’est alors que commence le tournant de Kant à Machiavelli, cet «esprit magnifique» (Fichte, 1971: 408; Losurdo, 1991: 119), dit Fichte. Il ne s’agit pas d’une investigation sur la vraie nature de l’homme, ni d’une politique du pouvoir appuyé sur le cynisme ou la brutalité, mais tout simplement d’avoir conscience des dangers qui puissent causer des surprises désagréables dans le scénario international: la leçon de Machiavelli a été douloureusement confirmée par l’histoire (Losurdo, 1991: 119-120). Fichte, analyse Losurdo, n’abandonne pas l’idéal de la paix perpétuelle, à être réalisée par un ordre juridique au-dessus des États et ses conflits, mais jusqu’à là… il faut prendre en compte les rapports de force (Losurdo, 1991: 135-136).

3)Le caractère conflictuel de l’universel dans les théories des relations internationales

Dans la théorie des relations internationales, le droit humanitaire, à côté des droits de l’homme, se consacre comme la grande évidence de l’existence d’une morale planétaire, construite par une société planétaire qui ne connaît pas de frontières, une société-monde. Comme analyse Jean-Jacques Roche (2010), en opposition à une conception de société internationale en tant que société d’États, unis par des intérêts et en accord sur quelques normes de comportement, l’idée d’une société-monde considère une société d’individus unis par des valeurs communes, une société autonome par rapport à toute autorité politique, mettant ainsi en cause la violence de la scène interétatique. Cette idée, qui remonte au cosmopolitisme antique et continue à persister sous différentes formes tout au long de l’histoire de la philosophie, trouve ses inspirations théoriques plus récentes dans le libéralisme qui repose sur le principe d’une société civile, ainsi que dans le positivisme, qui considère le remplacement de «l’âge théologique» par «l’âge scientifique», et de la «solidarité mécanique» par la «solidarité organique», dans laquelle chaque individu choisit ses propres liens avec les autres. En théorie du droit international, Georges Scelle développe la conception d’un «objectivisme sociologique»: la société internationale, telle que la société interne, est

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un groupement d’individus. L’individu, et non l’État, est la première composante de la société nationale et internationale, ainsi que le premier sujet de droit interne et de droit international. La souveraineté revient à la société internationale, l’État est un groupement intermédiaire dont les compétences internes et externes lui sont attribuées par le droit international. En 1972, année de l’apogée de la détente américano- soviétique avec le sommet de Moscou en Juin 1972, Robert O. Keohane et Joseph Nye publient les Transnational Relations and World Politics et John Burton publie la World Society, qui ont une grande répercussion. Avec l’augmentation des tensions Est-Ouest dans les années 80, le thème de la société-monde de Burton est mis à côté, Keohane et Nye se recentrent sur le rôle de l’État. Les thèses transnationalistes regagnent intérêt dans l’après-guerre froide, après la chute du mur de Berlin (1989); de nombreux auteurs considèrent alors que le monde des États héritier des Traités de Westphalie a été dépassé. Le monde post-westphalien serait caractérisé par l’émergence d’une société-monde en confrontation avec la logique des états, et dans lequel les problèmes de dimension mondiale exigent de nouveaux instruments de décision et d’intervention. La Theorie des kommunikativen Handelns (Théorie de l’agir communicationnel, 1981) de Jürgen Habermas, la Gesellschaft der Individuen (Société des individus, 1983) de Norbert Elias et la Turbulence in World Politics (1990) de James Rosenau deviennent les références théoriques centrales.

La méthode privilégiée d’action de la société-monde qui considère l’individu et non l’État dans le centre de ses préoccupations est la «gouvernance», qui répond à des problématiques telles que celles du droit humanitaire qui dépassent les limites de l’État et qui pourrait difficilement être traités par les catégories traditionnelles des relations internationales. La gouvernance n’est pas fondée sur la solidarité politique entre les États, mais comprend, entre autres, les solidarités transnationales entre les individus. Les organisations non gouvernementales apparaissent comme une forme privilégiée de la gouvernance. Les ONG axées sur la réalisation du Droit Humanitaire, comme La Croix Rouge et les Médecins sans Frontières, sont alors considérés comme le symbole par excellence de la société-monde.

3.1) L’universel et les conflits d’identité: la perception du monde

Les conflits dans la société-monde résultent non de conflits entre les États, mais surtout de conflits dans l’ «économie-monde» et de «conflits d’identités», qui peuvent ou non se confondre avec les entités politiques telles que l’État. La question de l’identité était déjà présente dans la réflexion du réalisme classique, dans lequel l’identité se confond avec la morale de l’État. Le réaliste classique Morgenthau, dans Politics Among Nations (1948, suivi de plusieurs rééditions) reconnaît et affirme l’existence d’une moralité internationale, exprimée par excellence dans le droit humanitaire: même s’il y a des arguments contre l’effectivité de ces traités, qui sont complètement violés, dit-il, «cela n’est aucunement un argument contre l’existence d’une conscience morale qui se sent mal en face de la violence, ou au moins de certains types de violence, sur la scène internationale». On essaie d’harmoniser par traités internationaux, signés par la majorité des États, ces principes moraux et quand ils sont violés, il faut se justifier et s’excuser. «Ils sont la reconnaissance indirecte de certaines limitations morales, que les nations ignorent parfois totalement et violent fréquemment». Des grands groupes dans une nation en guerre se révoltent contre les

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violations de limitations morales dans la conduite de la guerre, ce qui prouve «l’existence d’une conscience morale qui fait attention aux limitations morales» (Morgenthau, 1978: 243).

La question n’est pas pour Morgenthau l’examen de l’existence ou non d’une morale internationale - c’est sûr pour lui qu’une telle morale existe - mais le fait que les dimensions de plus en plus grandes de la guerre rendent le droit humanitaire impossible. Ces dimensions peuvent être identifiées en quatre aspects centraux:

1)la partie de la population engagée dans des activités essentielles de conduite de la guerre;

2)la partie de la population affectée par la conduite de la guerre;

3)la partie de la population identifiée par conviction et émotion avec la guerre;

4)les objectifs de la guerre.

Les armées en masse sont appuyées par la production de la majorité de la population civile, de façon que le succès de la production de la population civile soit aussi important que l’effort militaire lui-même. La guerre moderne prend alors ses armes d’une vaste machine industrielle qui élimine la distinction entre le soldat et le civil: «L'ouvrier, l’ingénieur, le scientifique ne sont pas des accompagnateurs innocents… Ils sont une partie de l’organisation militaire si intrinsèque et indispensable que le soldat, le marin, le pilote». La Deuxième Guerre Mondiale a utilisé des attaques aériennes et des bombardements à longue distance pour détruire la capacité productive de la nation et la force de résistance (Morgenthau, 1978: 245). Selon la conviction morale de l’entre-deux-guerres, le Secrétaire d’État Américain Cordell Hull exprime le 11 juin 1938, à propos du bombardement de Canton par le Japon, la réprobation de vendre des appareils aéronavals et des armements à des nations qui bombardent des populations civiles; le président Américain Roosevelt, un an après, fait le même embargo moral à l’Union Soviétique, à propos des attaques de civils finlandais. Mais après quelque temps tous les belligérants pratiquaient des attaques plus violentes que celui qui avait été condamné. La moralité de la guerre change avec Varsovie et Rotterdam, Londres et Coventry, Cologne et Nuremberg, Hiroshima et Nagasaki: «la guerre d’Indochine a, pour tous les propos pratiques, oblitéré la distinction entre combattant et population civile» (Morgenthau, 1978: 246).

C’est l’intérêt national de ruiner la productivité ennemie et l’engagement émotionnel des masses qui, pour Morgenthau, détruisent la moralité internationale: «Tel quelle la guerre religieuse des XVIe et XVIIe siècles, et plus tard les guerres nationales des XIXe et XXe siècles, la guerre de nos temps tend au type religieux, devenant idéologique. Le citoyen de la nation moderne en guerre, en contraste avec ses ancêtres des XVIIIe et XIXe siècles, ne lutte pas pour la gloire de son prince ou pour l’unité et grandeur de sa nation, mais ‘part en croisade’ pour un ‘idéal’, une série de ‘principes’, un ‘style de vie’, pour lequel il réclame un monopole de vérité et de vertu. En conséquence, il lutte pour la mort ou la ‘reddition inconditionnelle’ de tous ceux qui adhèrent à un faux et mauvais ‘idéal’ ou ‘style de vie’. Dès que c’est cet ‘idéal’ et ce ‘style de vie’ qu’il combat, quelle que soit la personne qui porte cet idéal et ce style de vie, les distinctions entre soldat qui lutte et soldat blessé, entre combattant et civil - si elles ne sont pas éliminées ensemble - sont subordonnées à la seule distinction qui importe : la

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distinction entre le représentant de la philosophie et du style de vie correct ou faux. Le devoir moral de faire la distinction du blessé, du malade, de celui qui s’est rendu et de l’ennemi désarmé, et de le respecter comme un être humain qui était un ennemi seulement car il s´est retrouvé de l’autre côté de la ligne de combat, est dépassée par le devoir moral de punir et de nettoyer la face de la terre de ceux qui professent et pratiquent le mal» (Morgenthau, 1978: 246).

Pour Morgenthau, ainsi, la vision subjective du monde est étroitement liée à la morale nationale. Raymond Aron, à son tour, estimant que les relations internationales ne peuvent pas être pleinement rationnelles, parce que ce sont des relations humaines, distingue les intérêts matériels des intérêts immatériels. Des critères non objectifs et non quantitatifs influencent dans les choix diplomatiques, de sorte que chaque interprétation est différente selon la culture, l’origine, la psychologie de chaque observateur. Si Morgenthau et Aron prennent surtout en compte la perception dans les cadres de l’État, les études les plus récentes sur la perception en relations internationales vont se détacher de l’État comme lieu déterminant de construction de la subjectivité. Certaines des œuvres principales de référence sont: The Image: Knowledge of life in society (1956) de Kenneth Boulding; Introduction à l’histoire des relations internationales (1964) de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle; Perception and Misperception in International Politics (1976) de Robert Jervis. Renouvin et Duroselle estiment nécessaire de «percevoir» les influences, les «forces profondes», les variables instables qui guident le cours des relations internationales. Le behaviorisme est introduit dans les relations internationales, en se concentrant sur l’étude de la représentation que l’individu a de son environnement. Dans l’après-guerre froide, l’approche théorique «constructiviste» (Alexander Wendt, 1999) se développe dans les relations internationales, visant à déterminer le rôle des structures sociales dans la vie internationale. Sa question est comment les structures sociales influencent l’identité et la conduite des acteurs, et comment ces mêmes acteurs reproduisent ou créent des structures sociales. Il se montre ainsi un grand intérêt aux «variables instables»: normes, valeurs, identités, qui acquièrent autant d’importance dans l’analyse des relations internationales que les critères matériels de puissance (réalisme) ou de sécurité (néo-réalisme). Selon ces doctrines, le droit humanitaire apparaît comme la consécration d’une valeur morale et d’une règle de droit transnational construite par plusieurs acteurs, un droit qui peut s’imposer sur la scène internationale ainsi comme d’autres intérêts, et qui peut de même être un facteur décisif dans le comportement des États.

La culture est maintenant considérée par certains auteurs comme le principal facteur d’antagonisme. Norbert Elias considérait déjà en fait que la mondialisation élargit les espaces de liberté de l’individu tout en favorisant le phénomène de la relocalisation de l’identité, dès que l’individu a besoin d’un espace à sa mesure. Samuel Huntington, cependant, donne à cette idée un sens radical: la compétition idéologique Est-Ouest, à son avis, donne lieu à une confrontation entre l’Occident et le reste du monde. Les civilisations transmettent des conceptions antagonistes de l’être humain. Mais il s’agit d’une description exagérée des conflits d’identité qui n’a pas les outils théoriques pour expliquer le phénomène indéniable de la construction des valeurs universelles qui soutiennent le droit humanitaire.

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3.2) L’histoire politique de la moral universelle du Droit Humanitaire

La question politique fondamentale, cependant, touche encore surtout la constitution même d’un concept de droit humanitaire qui ne se rapporte pas aux causes de la guerre, dans une vaine tentative d’essayer de réintroduire la loi juste là où la loi a échoué, et d’essayer de soumettre à la loi ceux qui ont remplacé la loi par la violence. Comme dit Chemillier-Gendreau, «il y a du pathétique à tenter de réintroduire du droit au cœur même de l’échec du droit. Du pathétique ou de l’imposture… Non que la violence se trouve éliminée par le droit, mais dès qu’un système juridico-politique se met en place, elle tombe sous un monopole légal et s’organise». La faiblesse intrinsèque au droit humanitaire, poursuit-elle, «est d’en appeler au droit à l’égard de ceux qui, en entrant dans la violence, ont signifié son congé au droit. Là est la déficience d’origine de l’expression droit humanitaire dans son premier sens ici rappelé… On ne nettoie pas la guerre de ses pires manifestations. On s’attaque à ses causes ou l’on se résigne à la barbarie qu’elle exprime» (Chemillier-Gendreau, 2002: 80-81).

Ce problème devient encore plus pressant dans les nouvelles fonctions de l’humanitaire: «Le même refus de s’en prendre aux origines des faits et des comportements producteurs de graves dévastations sociales et l’acceptation résignée de celles-ci quel qu’en soit le coût humain se retrouvent au centre du phénomène plus général et plus récent désigné sous le nom d’action humanitaire» (Chemillier- Gendreau, 2002: 82). Du point de vue du droit international, les problèmes qui donnent origine aux situations qui appellent à des réponses humanitaires ont besoin d’un encadrement juridique, ce qui montre la déficience de ce droit en face de la guerre économique et idéologique qui caractérise aujourd’hui la situation mondiale. Ses principales inefficacités, analyse Chemillier-Gendreau, sont les suivants:

1)la maintenance de la paix, le mécanisme juridique central de l’ONU, mais dont le fonctionnement est sujet au pouvoir de veto des membres permanents du Conseil de Sécurité, s’est discréditée par impuissance, partialité, guerres déguisées en maintenance de la paix et criminalisation des opérations conduites;

2)le mécanisme juridictionnel de règlement des différends se révèle aussi inopérant : la Cour Internationale de Justice de la Haye exige le consentement des États pour pouvoir les juger, la Cour Pénale Internationale aussi bien que les tribunaux spéciaux mis en place par le Conseil de Sécurité pour l’ex-Yougoslavie et Rwanda n’ont pas eu les résultats attendus;

3)il n’y a pas de contrôle des armements avec lesquels les crimes internationaux sont commis, particulièrement des mines terrestres («outil de mort le plus dévastateur de ces dernières années»), en dépit des diverses conventions sur tel ou tel armement spécifique, mais qui ne vaux que pour les États signataires;

4)le domaine économique, le principal responsable pour la déstructuration des sociétés, divise l’humanité entre ceux qui bénéficient d’une organisation sociale qui leur assurent survie, liberté et participation (potentielle) au pouvoir des décisions, et la «masse chaque jour grossissante» de ceux condamnés à être éliminés, qui demandent l’humanitaire (Chemillier-Gendreau, 2002: 83-85).

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Ce dernier problème exige la différentiation entre la violence fonctionnelle, qui consiste

àl’oppression structurelle inhérente aux relations sociales, et qui élimine toute sorte de résistance incompatible avec la reproduction du système, et la violence non- fonctionnelle, qui concerne le reste du marché mondial: il ne s’agit plus dans ce cas d’exploiter, mais de laisser mourir - et cela est aussi un produit de l’économie-monde. Une politique nommée par Balibar civilité, qui a ce problème pour tâche, «la production des conditions mêmes de possibilité de l’action politique… par la réduction des formes de violence extrême qui empêchent la reconnaissance, la communication et la régulation du conflit entre ses acteurs», se distingue des deux concepts traditionnels de la politique comme l’émancipation («la conquête collective des droits individuels») et la transformation («des structures de domination et des rapports de pouvoir») (Balibar,

2001: 183). Dans les cadres d’une telle politique, qui prend en compte ces formes de violence, le droit humanitaire peut retrouver son sens.

Concevoir le droit ainsi suppose que son contenu peut difficilement être saisi en tant que produit de la rationalisation et du consensus, comme le présente Habermas, mais qu’il s’explique surtout par la lutte entre des différents acteurs porteurs de leurs intérêts conflictuels ; ce sont les conflits entre les sujets politiques qui déterminent la formulation, l’interprétation et l’application des normes du droit humanitaire, dont le sens est appréhendé par sa fonction sociale et conditionné par le contexte où elles s’insèrent. En dépit de toutes les difficultés de la réalisation du droit humanitaire, l’analyse historique du conflictuel surgissement et développement du droit humanitaire, de ses institutions, documents et normes, montrent la violence des relations internationales mais en même temps les possibilités de l’action politique et juridique à les opposer.

Il faut ainsi dépasser aussi bien le normativisme cosmopolite de Habermas que le réalisme de Morgenthau. Selon la théorie du droit chez Habermas, le droit humanitaire dépend de l’institutionnalisation des formes juridiques nécessaires à la formation de la volonté rationnelle. Selon le réalisme de Morgenthau, la construction de l’image négative de l’ennemi exclut la possibilité de réalisation des valeurs universelles. Il est nécessaire de surmonter l’antagonisme entre une analyse qui met l’accent sur la valeur morale indéniable du droit humanitaire en ignorant ses controverses et une analyse qui met l’accent sur les antagonismes sociaux mettant en question la possibilité de réalisation de la valeur morale et universelle du droit humanitaire. Pour cela, il faut considérer que celui-ci est une construction. Il n’y a rien d’évident dans l’idée d’avoir des droits humanitaires face à l’ennemi même pendant la guerre, ou dans le conflit contre son propre gouvernement ou contre une puissance dominante. Comme Bourdieu analyse, rien n’est moins évident que se sentir victime d’une injustice et titulaire des droits – et cela vaut même pendant la situation extrême d’absence de droit qui est la guerre. La question est comment concilier le discours universel du droit humanitaire avec une analyse sociologique qui prend en compte la façon dont le discours juridique est socialement et historiquement produit. Encore avec Boudieu, il est possible de comprendre que l’effet symbolique du droit humanitaire n’est possible que s’il est socialement accepté comme une réponse neutre et autonome aux besoins réels. À cette fin, la codification est essentielle. Dans la codification du droit humanitaire, il se révèle qu’il n’est ni un produit de la raison universelle, ni l’imposition d’une idéologie dominante. Il résulte d’une longue et cumulative systématisation qui produit la cohérence et la rationalité, provoquant ainsi l’effet de l’universel et la normalisation. Le

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droit humanitaire est également fondé sur les coutumes, mais la rationalisation produit la clarté, au contraire des coutumes. Il apparaît ainsi comme autonome, comme indépendant des rapports de forces, fondé sur la rationalité de la morale et ainsi bien digne de la reconnaissance universelle. Les formes historiques semblent avoir un fondement transcendantal. Pourtant, le développement du droit humanitaire n’est possible que lorsque l’on prend en compte les racines historiques de la raison. Comme analyse Bourdieu, le pouvoir de la raison ne suffit pas pour la réaliser. C’est seulement par la lutte politique que la raison se réalise dans l’histoire. Ce n’est qu’en découvrant son historicité, ses conditions historiques et sociales, que le droit humanitaire trouve les moyens d’échapper à l’historicité.

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ISSN: 1647-7251

Vol. 3, n.º 1 (Printemps 2012), pp. 79-96

Le Droit International Humanitaire: la controverse construction historique d'une morale universelle Soraya Nour Sckell

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